07/07/2025
8 minutes
Depuis plus de vingt ans, Truffle Capital s’impose comme un acteur incontournable du capital-risque en Europe. Cofondée en 2001 par Bernard-Louis Roques et Dr. Philippe Pouletty, le fonds a su évoluer en profondeur pour devenir un véritable écosystème d’innovation. Dans cet entretien, Bernard-Louis Roques revient sur les grandes étapes de cette transformation, les choix d’investissement emblématiques, ainsi que ses ambitions pour l’avenir.
Bernard-Louis ROQUES
CEO & Co-Founder chez Truffle Capital
Bernard-Louis : Nous avons lancé Truffle Capital en 2001 avec l’ambition de bâtir un fonds indépendant centré sur la technologie et l’innovation de rupture. Dès le départ, nous avons voulu soutenir des entreprises qui maîtrisent leur technologie, qui investissent massivement en R&D, et qui peuvent viser un leadership non seulement national mais aussi mondial. Ce positionnement s’est renforcé au fil du temps.
Après une première phase plus généraliste, nous avons pris un virage stratégique il y a une dizaine d’années : nous nous sommes spécialisés à 100 % dans des fonds monosectoriels. Aujourd’hui, Truffle se structure autour de deux verticales majeures : la FinTech et la BioMedTech. Mais au-delà de cette spécialisation, c’est notre approche d’écosystème qui nous distingue. Nous ne sommes pas de simples pourvoyeurs de capital. Nous construisons des environnements complets autour de nos participations, en attirant les bons partenaires, les bonnes expertises et les bons clients. Nous sommes devenus, en quelque sorte, des architectes d’innovation.
Bernard-Louis : Nous sommes convaincus que les prochaines grandes ruptures émergeront à l’intersection de plusieurs disciplines : l’intelligence artificielle, la blockchain, la cybersécurité, la santé numérique ou encore la tokenisation d’actifs. C’est pourquoi nous avons structuré nos fonds autour de verticales cohérentes, mais interconnectées.
Dans la FinTech, nous voyons par exemple la dématérialisation des services bancaires comme une lame de fond. Nous investissons donc dans des sociétés qui ne se contentent pas de digitaliser l’existant, mais qui inventent les standards de demain. Même logique dans la santé, où nous finançons des biotech et medtech qui visent à transformer radicalement les parcours de soins. Et dans tous les cas, notre rôle est d’agir comme catalyseur : structurer, faire grandir, connecter.
Bernard-Louis : Depuis 2019, nous avons levé près de 400 millions d’euros, répartis entre nos fonds FinTech et BioMedTech. Aujourd’hui, nous sommes passés à environ 550 millions d’euros sous gestion. Ce qui est intéressant, c’est que nos investisseurs ne se contentent plus de suivre nos performances financières. Ils s’intéressent de plus en plus au contenu des participations elles-mêmes.
Certaines de nos participations préfigurent de véritables changements de paradigmes dans leurs secteurs respectifs. Ce que nous observons également, c’est une implication croissante des LPs dans nos sociétés : certains co-investissent à nos côtés, d’autres vont jusqu’à racheter des participations stratégiques. Cela montre que notre modèle a une valeur au-delà de la simple rentabilité : il crée aussi du sens et des synergies.
Bernard-Louis : Nous avons fait le choix clair de privilégier les modèles B2B, pour plusieurs raisons. D’abord, ils sont moins consommateurs de capital. Une société B2B peut atteindre une forte rentabilité sans avoir à investir des dizaines de millions dans du marketing. Elle se concentre sur son produit, sur son développement technologique, et sur la conquête de clients professionnels.
Ensuite, les modèles B2B sont plus compatibles avec notre logique d’écosystème. En connectant nos participations avec de grandes institutions — banques, assurances, mutuelles — nous leur offrons des débouchés commerciaux et des partenariats stratégiques. Cela accélère leur croissance et solidifie leur positionnement. En B2C, cette approche est plus difficilement réplicable à grande échelle.
Bernard-Louis : Un des cas les plus emblématiques actuellement est DGPays, une société luxembourgeoise de banking-as-a-service avec sa R&D en Turquie. Nous avons parié sur elle dans une zone géographique peu couverte par les investisseurs français, et cela a porté ses fruits. Depuis notre entrée, nous avons fédéré autour d’elle la BERD, Mastercard, la plus grande banque mutuelle turque… Résultat : en 18 mois, elle a triplé ses revenus, avec un EBITDA supérieur à son chiffre d’affaires initial. Forte de ses résultats, la société a pu conduire une acquisition majeure pour 350m$, la société Neopay basée à Dubai.
Un autre exemple, plus proche de nous, est Obat. C’est une solution SaaS dédiée aux artisans et PME du bâtiment, un secteur réputé difficile. Pourtant, Obat connaît une croissance fulgurante, avec des revenus récurrents en forte hausse et plusieurs dizaines de milliers de clients. Cela prouve qu’avec une bonne exécution, des marchés jugés peu sexy peuvent générer des pépites.
Bernard-Louis : L’exit d’ iPaidThat, une solution de pré-comptabilité pour TPE/PME, rachetée par BPCE, est très représentatif. C’est une sortie à un stade inhabituellement early-stage pour nous, mais c’est une validation éclatante de notre stratégie d’écosystème. Nous avions identifié le besoin croissant des PME pour des outils intégrés autour de la gestion financière. iPaidThat apportait une réponse simple, fluide, totalement intégrable à une offre bancaire.
BPCE a vu dans cette acquisition un moyen d’enrichir ses services et de rivaliser avec les néobanques. Cette opération montre à quel point nos participations peuvent devenir stratégiques pour des institutions établies. Et cela nous conforte dans notre rôle de connecteur.
Bernard-Louis : L’ESG fait partie intégrante de notre ADN. Nous avons été parmi les premiers signataires des PRI (Principles for Responsible Investment) des Nations Unies il y a plus de 12 ans. Aujourd’hui, tous nos nouveaux fonds sont classés Article 8 et nous mesurons de manière rigoureuse l’impact de nos investissements.
Dans la FinTech, cela se traduit par une démocratisation de l’accès aux services financiers. Dans la santé, par une amélioration concrète de la qualité de vie. Nous croyons en un capital-risque qui a du sens, et qui contribue positivement à la société.
Bernard-Louis : À court terme, nous voulons confirmer notre modèle, le consolider avec des exits réussis et des croissances fortes dans nos participations. À moyen et long terme, notre ambition est de devenir un acteur européen de référence avec une empreinte encore plus internationale.
Nous avons déjà une équipe cosmopolite — Anglais, Italiens, Polonais, Chinois — et des partenariats solides avec la Commission européenne, notamment à travers le réseau FINE (Fintech Investor Network and Ecosystem). Cela nous donne un accès privilégié à des marchés où d’autres VCs n’ont pas encore pénétré, comme l’Europe du Sud ou du Nord.
Truffle Capital n’est pas un fonds comme les autres. Sous l’impulsion de Bernard-Louis Roques et de Philippe Pouletty, il s’est transformé en véritable catalyseur d’écosystèmes, au service d’innovations technologiques à fort impact. Par sa spécialisation pointue, sa capacité à anticiper les ruptures, et son engagement ESG, Truffle incarne une nouvelle génération d’investisseurs européens. Ambitieux, structuré et international, le fonds entend continuer à bâtir des champions dans la FinTech et la BioMedTech.