02/06/2025
5 minutes
Fondé en 2015 par une équipe d’investisseurs et d’entrepreneurs, Daphni s’est rapidement imposé comme un fonds de venture capital singulier sur la scène tech française. Porté par une volonté de transparence, d’innovation et d’impact, il mise sur les ruptures – d’usage comme technologiques – et s’appuie sur une communauté engagée pour faire la différence. Pierre-Yves Meerschman, cofondateur et Partner, revient sur la vision, les méthodes et les ambitions du fonds.
Pierre-Yves Meerschman
Co-fondateur et Partner chez Daphni
Pierre-Yves : Il y a dix ans, on voyait un vrai décalage entre les VC traditionnels et les entrepreneurs. Le capital-risque en France restait très marqué par une culture bancaire, alors qu’une nouvelle génération d’entrepreneurs arrivait, plus diversifiée, plus ambitieuse, souvent déjà expérimentée. Ce monde-là appelait une autre manière de faire du VC.
Côté investisseurs aussi, les attentes évoluaient : des corporate et des particuliers voulaient investir plus directement, avec plus de transparence et de proximité. On a voulu répondre à ces deux dynamiques en créant un fonds plus ouvert, plus lisible, plus aligné avec son écosystème.
Pour y parvenir, on s’est inspirés de modèles étrangers capables de bien exécuter, et on a construit notre propre approche : une communauté d’experts très engagée, intégrée à nos process, et un outil digital pour structurer tout ça. On investissait dans la tech, il fallait être capables de l’utiliser aussi pour nous-mêmes.
Pierre-Yves : On cherche à investir dans des business de rupture, que ce soit des ruptures d’usage ou des ruptures technologiques. Au départ, on était très centrés sur les changements d’usage, et c’est encore un axe fort pour nous. Mais aujourd’hui, on voit de plus en plus de ruptures venir de vraies avancées technologiques, souvent portées par la science : le quantique, l’intelligence artificielle, la biologie, les nouvelles formes de calcul…
On n’investit pas dans des innovations incrémentales. Ce qui nous intéresse, c’est le potentiel de transformation. On reste généralistes, mais on va là où les marchés peuvent changer rapidement et en profondeur. Il faut que le projet ait du sens avec un VC à bord, que le timing soit bon, et que l’ambition soit là.
On regarde aussi l’impact, notamment sur le climat ou la santé. Réduire l’empreinte carbone ou résoudre des problèmes systémiques, ce sont des enjeux majeurs. Si la startup peut y contribuer de manière directe ou indirecte, ça fait clairement partie de nos critères.
Pierre-Yves : BackMarket, c’est un bon exemple. Quand on a investi, le reconditionné n’était ni une priorité pour les consommateurs ni un marché mature. Il a fallu changer les usages, recréer de la confiance, et repenser toute la chaîne de valeur, du produit au client. C’est une vraie rupture d’usage, appuyée sur une plateforme tech très solide.
À l’inverse, avec Pasqal, on est dans la rupture technologique pure. Ils développent une technologie quantique de calcul, avec des briques hardware et software très complexes. C’est un pari sur le futur, mais avec un potentiel énorme.
On a aussi accompagné des boîtes dans l’analyse d’images pour la brand safety, dans l’économie circulaire avec Hub.Cycle, dans l’immobilier avec Sora qui optimise l’usage des bureaux existants plutôt que d’en construire de nouveaux.
Comme on est généralistes, on peut aller là où d’autres ne vont pas forcément. Et parfois, on peut se tromper. C’est le revers de la médaille quand on va sur des marchés encore peu explorés. Mais c’est le jeu quand on veut être en avance de phase !
Pierre-Yves : Notre communauté est un outil clé dans notre manière de faire ce métier. Elle intervient à toutes les étapes : sourcing, analyse, accompagnement. En amont, on organise régulièrement des expert calls. Ces échanges nous permettent de mieux comprendre les marchés, d’identifier des angles morts, de challenger les projets avec un regard extérieur. C’est indispensable quand on couvre des secteurs aussi variés.
Mais l’apport le plus concret, c’est dans l’exécution. On peut activer des compétences très pointues à des moments critiques : structurer une équipe, faire des intros commerciales, ou accompagner une phase de pivot ou de retournement. On a aussi placé des indépendants dans des boards, et ça change beaucoup de choses dans la gouvernance des boîtes.
C’est un vrai levier d’exécution, parce qu’on ne peut pas tout faire seuls.
Et pour que ça fonctionne, on anime constamment notre communauté. On organise des événements, on crée du contenu, on produit un podcast, on échange régulièrement. Beaucoup d’entre eux sont aussi investisseurs chez nous, donc il y a un alignement d’intérêts naturel. Ce n’est pas un simple réseau d’experts : c’est une communauté vivante, engagée, et mobilisable. Et c’est ça qui fait la différence.
Pierre-Yves : Ce qu’on essaie de faire, c’est d’être justes. Pas juste “bienveillants”, mais vraiment justes, présents quand ça va bien comme quand ça devient compliqué. On n’est pas là pour surfer uniquement sur les success stories, on accompagne aussi les moments plus durs. Et ce sont souvent les fondateurs qu’on a soutenus dans ces phases-là qui en parlent le mieux. Très tôt, on donne aux entrepreneurs chez qui nous souhaitons investir, les contacts d’autres fondateurs qu’on a accompagnés. Pas seulement ceux qui ont levé beaucoup ou qui sont devenus licornes, mais aussi ceux dont les projets se sont arrêtés. On leur dit de les appeler directement et de leur demander comment les a accompagnés tout du long.
Ce n’est pas à nous de faire notre propre promo mais nos startups en portefeuille. Un bon signe que l’on constate, c’est que beaucoup de fondateurs reviennent nous voir pour leur nouvelle boîte, d’autres deviennent eux-mêmes LPs dans notre fonds. Ces constats montrent qu’ils ont apprécié la relation et qu’ils nous font confiance à long terme.
Pierre-Yves : Nous avons une plateforme qui nous permet de suivre le cycle de vie d’un projet, de la première rencontre à l’exit potentiel. On y consolide la donnée, on historise les échanges, on identifie les signaux faibles, on croise les expertises. Il y a des briques pour scorer les opportunités, partager les analyses au sein de l’équipe, activer des membres de la communauté, suivre les KPIs des boîtes en portefeuille. C’est vraiment devenu un copilote intelligent de notre quotidien.
Très tôt, on a voulu utiliser la tech pour structurer notre façon de travailler. C’est ce qui nous a poussés à créer Flamel ensuite, notre couche d’intelligence sur la data de notre plateforme. Ce n’est pas juste une base de données ou un CRM : c’est une plateforme qui centralise toutes nos datas pour mieux industrialiser nos processus, et qui nous aide à prendre de meilleures décisions.
Plus on grossit, plus c’est essentiel. On ne peut pas tout suivre à la main avec plus de 60 participations, des milliers d’interactions et autant de relations humaines à entretenir. Flamel nous aide à garder le lien, à faire les bonnes connexions au bon moment, et à rester rigoureux sans perdre notre souplesse.
Pierre-Yves : Il y a toujours mille raisons de ne pas faire un deal. C’est facile de dire non. Ce qu’on cherche, c’est ce moment où quelqu’un dans l’équipe développe une conviction intime qu’un projet mérite d’être soutenu. Et cette conviction, elle peut venir de choses très différentes selon les cas.
Parfois, c’est l’équipe fondatrice qui déclenche cette conviction : une capacité d’exécution, une clarté dans la vision, une énergie qu’on ressent. Parfois, c’est le marché ou la techno qui nous accroche, même si on connaît moins bien les personnes au départ. Il faut être capable de reconnaître ça, de l’écouter, et ensuite de le confronter à l’analyse rationnelle.
On a une équipe assez diverse, avec des sensibilités différentes. Certains vont être plus attentifs aux signaux faibles dans l’interaction humaine, d’autres vont creuser la taille de marché, les données, les hypothèses. Ce mélange-là, c’est une richesse. Et une fois qu’un deal commence à faire sens pour l’un ou l’autre, il faut réussir à porter cette conviction, à l’expliquer au reste du fonds, parce qu’une fois qu’on investit, c’est toute l’équipe qui accompagne.
Il n’y a pas de recette unique. Ce qui compte, c’est la capacité à se forger une conviction solide, à l’éprouver, et à l’assumer collectivement.
Pierre-Yves : On continue à structurer notre approche. On vient de lancer une nouvelle initiative qui s’appelle Time4, avec l’ambition d’accompagner des entrepreneurs issus de zones moins représentées dans le capital-risque : quartiers prioritaires, zones rurales, milieux où on n’a pas toujours accès facilement au financement. C’est une dynamique qu’on soutenait déjà via du mentorat, mais là, on passe à une échelle plus structurée, avec une équipe dédiée et un objectif de levée jusqu’à 100 millions d’euros.
On veut aussi continuer à être en avance sur la tech. Depuis nos débuts, on a toujours essayé de nous doter d’outils pour mieux détecter, mieux analyser, mieux accompagner. Avec Flamel, on a posé une première pierre, mais l’ambition est de tirer encore plus parti de la donnée qu’on collecte, que ce soit côté dealflow, communauté ou suivi de portefeuille. Plus on est capables d’analyser vite et bien, plus on peut se concentrer sur ce qui compte vraiment : l’humain, le marché, la stratégie.
Et bien sûr, on garde la même envie de continuer à s’améliorer. Le marché évolue, il y a de plus en plus d’acteurs, et c’est une bonne chose. On co-investit avec beaucoup de monde. Ce qui compte, c’est que les projets avancent, que l’écosystème progresse, et que nous, dans tout cela, on continue d’apporter notre pierre à l’édifice..