Shift4Good accélère la transition vers une mobilité durable et décarbonée

17/07/2025

9 minutes

Dans un contexte où la décarbonation des transports devient une urgence mondiale, certains acteurs s’engagent à catalyser l’innovation pour accélérer cette transition. Yann MARTEIL, Founding Partner de Shift4Good, nous partage la genèse, la stratégie et les ambitions de ce fonds d’investissement unique, spécialisé dans la décarbonation des transports à l’échelle mondiale.

Yann MARTEIL

Co-founder & Managing Partner chez Shift4Good

Pourquoi avez-vous créé Shift4Good ?

Yann : La création de Shift4Good est née d’un double constat. D’une part, entre 2015 et 2020, j’ai réalisé avec étonnement qu’il n’existait pas de fonds d’investissement à impact, indépendants et spécialisés sur le transport. Beaucoup de fonds investissaient dans le secteur mais toujours parmi d’autres thématiques. Aucun fonds n’était exclusivement dédié à la mobilité alors que c’est un secteur clé.

À l’époque, je dirigeais Via ID, le fonds corporate du groupe Mobivia (Norauto, Midas), et je trouvais surprenant qu’il n’existe pas un véhicule d’investissement expert et dédié. Par ailleurs, en m’installant à Singapour, j’ai échangé avec Thierry De Panafieu et Sébastien Guillaud, qui géraient alors Hera Capital. Nous partagions l’envie d’agir concrètement sur la décarbonation des transports, en réponse à l’urgence climatique. La mobilité représente 26 % des émissions mondiales de CO₂, et près de 30 % en Europe. S’attaquer à ce secteur, c’est s’attaquer à la principale source d’émissions.

Nous avons rapidement embarqué Matthieu de Chanville, ancien dirigeant d’Alliance Ventures (le fonds de Renault-Nissan-Mitsubishi), pour bâtir ensemble un fonds de référence mondiale dédié à la décarbonation des transports. C’est ainsi qu’est né Shift4Good.

Quelle est la thèse d’investissement de Shift4Good et pouvez-vous nous donner quelques exemples emblématiques de votre portefeuille ?

Yann : Notre thèse d’investissement est simple : nous intervenons principalement en série A, parfois en pré-série A et en série B, toujours dans le secteur du transport que nous appréhendons au sens large, qu’il soit terrestre, maritime, aérien ou ferroviaire. Sur le transport terrestre, notre champ d’action est très large, allant des vélos urbains aux camions autonomes. Nous investissons aussi bien dans le hardware que dans le software et les services, que ce soit pour le transport de personnes ou de marchandises.

Nous accordons une attention particulière à l’économie circulaire et aux sujets énergétiques liés aux transports. Nous nous intéressons notamment aux batteries, aux carburants durables (SAF), au recyclage et aux matériaux innovants.
Géographiquement, nous ciblons environ deux tiers de nos investissements en Europe et un tiers en Asie du Sud-Est, avec des bureaux à Paris, Singapour et prochainement Stockholm.

Nous comptons aujourd’hui 16 startups en portefeuille et visons un total de 25 à 30 investissements. C’est cet équilibre entre innovation, efficacité économique et respect de l’environnement qui nous anime au quotidien et qui est au cœur de notre fierté. Ce qui est le plus difficile dans notre métier, c’est de devoir faire des choix parmi la quantité et la qualité des projets que nous recevons. Mais c’est un défi passionnant.

Parmi les startups de notre portefeuille, certaines illustrent particulièrement bien notre approche. Par exemple, bound4blue, une entreprise espagnole, installe des voiles (ailes) sur les cargos, inspirées des recherches du commandant Cousteau dans les années 1980 et cela permet des économies de carburant de l’ordre de 25 à 30 % par trajet. Nous accompagnons également Nowos, une société franco-néerlandaise qui prolonge la vie des batteries de vélos et de trottinettes électriques, initialement jugées irréparables, permettant ainsi aux opérateurs comme Lime ou Tier de réduire leurs coûts et leur empreinte environnementale.

De son côté, Compredict, une entreprise allemande, développe des capteurs virtuels basés sur l’intelligence artificielle, qui permettent aux constructeurs automobiles d’optimiser la production et la maintenance de leurs véhicules sans avoir à multiplier les capteurs physiques. Enfin, Vapaus, une société finlandaise, propose des vélos de fonction en leasing pour remplacer les voitures de fonction, une solution bénéfique pour la santé, l’environnement et économiquement avantageuse pour les salariés comme pour les entreprises.

Comment accompagnez-vous les startups de votre portefeuille au-delà du financement ?

Yann : Nous sommes très impliqués aux côtés des startups que nous accompagnons et nous leur apportons un soutien structuré autour de cinq grands axes. Tout d’abord, nous intervenons sur le volet humain et RH, en les aidant à structurer et renforcer leurs équipes, ce qui est souvent un enjeu clé dans les phases de croissance rapide. Nous savons que la qualité des équipes fait la différence et nous les accompagnons dans la recherche des bons profils et dans la mise en place d’une organisation solide.

Nous les soutenons également dans leur développement international. Grâce à nos implantations et nos réseaux, notamment en Europe et en Asie, nous facilitons leur expansion sur de nouveaux marchés et les aidons à naviguer dans des environnements parfois complexes.

Un autre axe fort de notre accompagnement concerne le développement commercial. Nous mettons à leur disposition notre réseau dense, en particulier dans le secteur de la mobilité, pour leur ouvrir des portes et les connecter à des grands comptes industriels, des partenaires stratégiques ou des clients clés. Cela leur permet d’accélérer leur traction commerciale et d’ancrer leur solution sur le marché.

Nous travaillons aussi avec elles sur leur communication et leur visibilité, en veillant à ce qu’elles adoptent rapidement une posture de leader dans leur secteur. Savoir bien se positionner et communiquer efficacement est essentiel pour convaincre les partenaires, les clients et les futurs investisseurs.

Enfin, et c’est un point fondamental pour nous, nous intégrons systématiquement la dimension d’impact. En tant que fonds classé Article 9, l’impact fait partie de notre ADN. Nous co-construisons avec chaque startup un plan d’impact sur cinq ans, parfaitement aligné avec leur trajectoire de développement et leur business plan. Ce plan repose sur des objectifs concrets, souvent mesurés en tonnes de CO₂ évitées ou économisées, afin de s’assurer que la croissance financière s’accompagne d’un impact environnemental mesurable et significatif.

Vous avez levé 220 millions d’euros pour votre 1er fonds, un montant significatif dans le contexte actuel. Pouvez-vous nous parler des objectifs que vous vous étiez fixés au départ et de ce que ce closing vous permet d’accomplir ?

Yann : Notre objectif minimal était de 200 millions d’euros, avec un hard cap fixé à 300 millions. Certains articles ont repris ce hard cap comme s’il s’agissait de notre objectif principal, mais ce n’était pas le cas. Atteindre 220 millions, compte tenu du contexte de marché actuel, est déjà une très belle réussite dont nous sommes fiers.

Avec 220 millions, nous avons les moyens de déployer pleinement notre stratégie. Depuis la bulle de 2020-2021, les valorisations ont beaucoup baissé, ce qui nous permet aujourd’hui de faire davantage avec ce montant que ce que nous aurions pu faire à l’époque. C’est une opportunité que nous comptons bien maximiser.

La vraie force de cette levée réside dans la qualité et la diversité de nos investisseurs. La moitié d’entre eux sont des acteurs stratégiques du secteur de la mobilité — constructeurs comme Renault, équipementiers, mais aussi des spécialistes du maritime, de l’énergie et des déchets. Leur intérêt va bien au-delà du simple retour financier : ils cherchent à créer des synergies, à détecter des startups innovantes et à nouer des partenariats commerciaux ou technologiques. Pour cela, nous leur proposons une plateforme dédiée qui facilite ces échanges et accélère la concrétisation des projets.

Par ailleurs, notre base d’investisseurs est complétée par des institutionnels (tels que BPIfrance, le Fonds européen d’investissement ou BNP Paribas), des family offices et des entrepreneurs. Cette diversité, tant sectorielle que géographique, est un atout majeur : environ 75 % de nos investisseurs sont européens, le reste étant principalement en Asie.

Pourquoi avoir choisi l’Asie du Sud-Est comme zone d’investissement prioritaire ?

Yann : L’Asie du Sud-Est représente pour nous une zone d’investissement prioritaire pour plusieurs raisons majeures. Ces régions connaissent une croissance économique et démographique rapide, ce qui entraîne une augmentation significative des besoins en infrastructures et en mobilité. Face à cette dynamique, il est essentiel de promouvoir et de développer des modes de transport durables afin de répondre à la demande tout en limitant l’impact environnemental. C’est dans cette perspective que nous souhaitons contribuer activement à des solutions de mobilité respectueuses de l’environnement, en cohérence avec notre mission d’impact.

Par ailleurs, l’Asie du Sud-Est se distingue par un dynamisme remarquable en matière d’innovation. Les marchés locaux sont très réceptifs aux nouvelles technologies et adoptent rapidement des solutions pionnières, ce qui crée un terreau fertile pour nos startups, notamment dans le secteur des transports durables. Cette combinaison d’enjeux environnementaux et d’appétit pour l’innovation fait de cette région une opportunité exceptionnelle pour accélérer la transition écologique.

Sur le plan opérationnel, nous avons une présence forte et ancrée à Singapour, avec une équipe locale expérimentée de 7 personnes, qui connaît parfaitement le marché et ses spécificités. De plus, deux de nos quatre fondateurs vivent dans cette région depuis 15 à 20 ans, ce qui confère à Shift4Good une compréhension fine et un réseau solide sur place. Contrairement à d’autres fonds qui ouvrent simplement des antennes à l’étranger, nous avons dès le départ conçu Shift4Good comme une structure bicéphale, avec deux sièges principaux à Paris et à Singapour. Cette organisation nous permet de travailler efficacement des deux côtés du globe, de faciliter les synergies et d’accompagner au mieux nos startups dans leur développement international.

Quelles méthodes ou technologies utilisez-vous pour sourcer et analyser les opportunités ?

Yann : Pour sourcer et analyser les opportunités, nous combinons intelligemment les technologies avancées comme l’IA avec une expertise humaine approfondie. L’intelligence artificielle joue un rôle clé dans le traitement et la sélection initiale des dossiers, ce qui nous permet de gérer un volume très important de candidatures tout en restant efficaces. En parallèle, nous nous appuyons sur un réseau solide de plus de 150 experts techniques qui interviennent pour approfondir l’analyse et valider les aspects pointus des projets.

Grâce à notre spécialisation dans la deep tech et les mobilités durables, nous sommes très facilement identifiables sur le marché, ce qui génère un flux massif de startups qui viennent naturellement vers nous. Nous avons ainsi construit une base de données propriétaire de plus de 6 000 startups pertinentes, couvrant nos thématiques prioritaires et nos zones géographiques cibles, notamment l’Europe et l’Asie du Sud-Est.

Au-delà des outils et du volume, nous avons développé une méthodologie propriétaire d’évaluation complète de la maturité des startups. Cette démarche ne se limite pas à un simple scoring automatique : elle intègre une analyse détaillée de la technologie, du marché adressé, du plan de développement ainsi que de l’équipe fondatrice. Cette approche rigoureuse et multidimensionnelle nous garantit une compréhension fine des forces et des risques de chaque opportunité, nous permettant ainsi de prendre des décisions d’investissement avec un haut niveau de confiance.

Quelles sont vos ambitions à court et moyen terme pour Shift4Good ?

Yann : À court terme, notre priorité est d’accompagner au mieux nos startups pour qu’elles puissent se développer rapidement et réussir dans leurs marchés respectifs. Nous adoptons une posture d’accompagnement bienveillant : notre rôle est d’aider et de soutenir les entrepreneurs, pas de leur imposer des leçons. Ce sont eux qui portent la vision et font avancer les projets, nous sommes là pour les épauler efficacement.

À moyen et long terme, notre ambition est claire : structurer une série de fonds successifs – un fonds 2, un fonds 3 — afin de faire de Shift4Good une référence mondiale incontournable dans la décarbonation des transports et l’énergie durable. Nous souhaitons bâtir un projet pérenne, développer la notoriété de la marque et transmettre aux générations futures une structure solide, capable d’avoir un impact durable sur la transition énergétique.

Ce fonds de capital-risque dédié à la décarbonation du secteur des transports ne se contente pas d’investir, il redéfinit la manière d’accompagner la mobilité durable. Alliant exigence financière et impact environnemental, il incarne une nouvelle génération qui conjugue rigueur, expertise pointue et ouverture internationale. Bien plus qu’un simple investisseur, Shift4Good joue un rôle de catalyseur d’innovation, propulsant les startups au cœur de la transition vers une mobilité décarbonée, accessible et responsable. Grâce à cette vision audacieuse, l’avenir de la mobilité prend un nouveau cap, à la fois ambitieux et concret.