XAnge, le fonds qui maîtrise l’art d’investir avant que l’évidence ne s’impose

28/07/2025

11 minutes

Dans un contexte où le capital-risque européen est en constante mutation, XAnge fait figure de référence par la clarté de sa stratégie, la puissance de sa plateforme d’accompagnement et la solidité de ses performances. Entretien sans filtre avec Guilhem, Partner chez XAnge, pour comprendre les moteurs profonds du fonds et ses ambitions pour demain.

Guilhem DE VREGILLE

Partner chez XAnge

Quel est l’ADN originel de XAnge, et en quoi vous distingue-t-il aujourd’hui dans l’univers du venture européen ?

Guilhem : XAnge a été créé en 2003, initialement au sein du groupe La Banque Postale. En 2012, XAnge lance son première fonds institutionnel XAnge Capital 2 et devient un fonds de Venture Capital à part entière, axé principalement sur la tech. En 2015, XAnge rejoint le groupe de private equity Siparex, pour incarner la stratégie VC.

Notre ADN repose sur trois piliers. D’abord, un angle très technologique. La quasi-totalité des Partners sont des ingénieurs passionnés par la technique. Cela se traduit dans nos investissements, souvent plus technologiques que la moyenne. Environ un tiers de notre stratégie est dédiée à la Deeptech, un secteur clé sur lequel nous concentrons des efforts particuliers pour accompagner les innovations de rupture.

Ensuite, notre plateforme d’accompagnement est un autre point différenciateur fort. Nous avons une équipe de quatre personnes, menée par Pauline Paquet, qui travaillent exclusivement à l’accompagnement des startups de notre portefeuille. Ce modèle horizontal est conçu pour produire des outils mutualisés, répondre à toutes les questions des fondateurs, et renforcer les échanges entre startups.

Et enfin, la performance est au cœur de toutes nos décisions. C’est ce qui nous permet de lever des fonds successifs. Nos résultats sont publiques depuis trois ans : nous avons investi au stade Seed dans quatre licornes dont Odoo, Lydia, Ledger et Believe. Believe a même été cédée pour 1.4 Md€ l’an dernier, dans un marché pourtant difficile.

Comment XAnge adapte-t-il ses thèses d’investissement aux grandes vagues tech récentes comme l’IA, le Web3 ou le climat ?

Guilhem : Notre stratégie repose sur une conviction forte : il faut investir au tout début des vagues d’innovation, bien avant qu’elles ne deviennent des tendances établies. En tant qu’investisseur early stage, notre valeur ajoutée se joue précisément dans cette capacité à sentir les signaux faibles et à prendre position tôt. Cela implique un travail permanent de veille, d’analyse et de remise en question, d’autant plus que les cycles d’innovation sont aujourd’hui plus rapides et plus volatils qu’auparavant.

C’est cette approche qui nous a poussés, dès 2017-2018, à renforcer fortement notre exposition à la Deeptech, à une époque où le sujet n’était encore que marginal dans l’écosystème. Dans le même esprit, nous avons investi dans Ledger en 2015, bien avant que la crypto ne devienne un phénomène grand public. À l’époque, l’univers des actifs numériques intéressait surtout une communauté confidentielle. Notre pari a été d’y croire avant que le marché ne s’emballe.

Autre exemple : notre entrée au capital d’Aerospace Lab en Belgique, fin 2018. Cet investissement dans le domaine des satellites s’est inscrit dans une intuition stratégique sur les enjeux croissants de souveraineté technologique en Europe. Enfin, plus récemment, nous avons fait notre retour dans le secteur des semi-conducteurs, que nous n’avions plus exploré depuis plus de dix ans. Ce timing reflète notre volonté de nous positionner en amont, sur des marchés que nous estimons structurants pour la décennie à venir.

Quels sont vos critères clés pour sélectionner les startups à fort potentiel ?

Guilhem : Bien sûr, la qualité de l’équipe fondatrice et du marché restent des incontournables dans notre processus d’évaluation. Mais chez XAnge, nous accordons une importance primordiale à la dynamique du marché. Être positionné sur un secteur en forte croissance, où les vents sont favorables, change radicalement la trajectoire d’une startup : cela facilite l’acquisition de clients, les levées de fonds successives, l’attractivité des talents, et in fine, la liquidité. À l’inverse, même un excellent fondateur aura du mal à faire décoller une entreprise dans un marché étroit ou saturé.

Cela dit, au-delà du marché, nous cherchons des fondateurs qui sortent du cadre. Des personnalités obsessionnelles, visionnaires, souvent à contre-courant. Des gens habités par leur mission, capables d’une exécution hors norme, mais aussi dotés d’une forme d’originalité presque radicale.

Un exemple emblématique est Fabien Pinckaers, le fondateur d’Odoo. Il incarne parfaitement cette rare combinaison : détaché de l’appât du gain alors même que sa société vaut plusieurs milliards d’euros, il a choisi de s’installer en Inde avec sa famille pour soutenir le développement local de sa société. Ce type de profil, profondément singulier, n’entre dans aucune case classique, mais c’est justement cette différence qui fait souvent toute la force d’un grand entrepreneur. Chez XAnge, nous croyons que ce grain de folie, cette intensité personnelle, est souvent un meilleur indicateur de succès à long terme que n’importe quel CV parfait ou trajectoire académique linéaire.

Quels ont été les deals les plus structurants dans l’histoire de XAnge ?

Guilhem : Plusieurs investissements ont marqué notre histoire, mais s’il fallait en retenir quelques-uns, Odoo occupe une place à part. Ce n’est pas nécessairement celui qui a généré le multiple le plus élevé, mais c’est sans doute le plus emblématique. Odoo incarne tout ce que nous aimons chez XAnge : une vision long terme, une croissance solide et une exécution sans compromis. Nous avons accompagné l’entreprise pendant de nombreuses années, en sortant progressivement via des secondaires, à des moments clés du marché, entre 2020 et 2022. Cette approche nous permet de sécuriser des performances tout en laissant la main à d’autres fonds pour poursuivre l’aventure.

Ledger est un autre cas très structurant. Nous avons investi en 2015, à une époque où très peu de fonds s’intéressaient à la crypto. C’était un pari audacieux, fondé sur une conviction forte sur l’évolution à venir des usages et des infrastructures. Nous avons su tenir sur la durée, malgré les cycles de défiance autour du secteur, avant de céder une partie de notre position lorsque le marché était à son apogée.

Enfin, je citerais Believe, un acteur majeur de la musique digitale. Ce qui est fascinant, c’est l’amplitude du changement qu’a traversé cette entreprise. Quand nous avons investi, il n’y avait pas encore Spotify, les CD dominaient encore les rayons. Aujourd’hui, Believe distribue son catalogue mondialement via les plateformes de streaming. Le fait d’avoir repéré aussi tôt cette transition de fond vers le digital dans la musique, et d’avoir accompagné l’entreprise jusqu’à son acquisition pour un milliard d’euros, illustre parfaitement notre capacité à nous projeter sur des tendances longues.

Où en est le fonds XAnge 4 et quels sont vos enjeux à venir ?

Guilhem : Lancé en 2021, XAnge 4 est un fonds de 220 millions d’euros dédié à l’early stage, avec une ambition européenne affirmée. Bien qu’il soit historiquement français, nous avons rapidement structuré notre présence en Allemagne et en Belgique, avec des bureaux à Berlin et Bruxelles, pour renforcer notre capacité de sourcing paneuropéenne.

Aujourd’hui, la majorité des primo-investissements ont été réalisés. Nous entrons dans la phase où l’enjeu devient la maturation du portefeuille. 50% du fonds est consacré aux premiers tickets, et 50% est réservé aux réinvestissements. Notre objectif est de renforcer nos positions dans les sociétés les plus prometteuses, en empilant progressivement les tours pour atteindre des participations significatives, tout en maximisant le potentiel de retour pour nos investisseurs.

Comment accompagnez-vous concrètement les startups du portefeuille ?

Guilhem : Au-delà de notre rôle d’investisseur et de membre du board, notre approche repose sur une plateforme d’accompagnement dédiée, composée de quatre personnes à temps plein. C’est un investissement structurant pour nous.

Contrairement à d’autres fonds qui structurent leur support autour de profils très spécialisés (finance, RH, com…), nous avons choisi une approche résolument généraliste. Chaque membre de l’équipe est capable de couvrir un large spectre de sujets, à l’image des challenges rencontrés par les startups early stage, ce qui garantit une plus grande flexibilité et une forte continuité dans la relation avec les fondateurs.

Bien sûr, chacun a ses affinités, mais la force de notre modèle repose sur la capacité de chacun à se substituer aux autres en cas de besoin. Nous misons moins sur des expertises individuelles très pointues que sur la montée en puissance collective de la plateforme. C’est ce qui nous permet de délivrer une expérience homogène à toutes les startups que nous accompagnons.

Cette équipe organise régulièrement des événements (dîners, ateliers, workshops) pour favoriser le transfert de compétences et d’expériences entre pairs. Elle orchestre également des founder retreats, véritables parenthèses de respiration pour les dirigeants, loin du quotidien opérationnel.

Mais surtout, notre plateforme d’accompagnement agit comme un support opérationnel sur-mesure. Qu’il s’agisse de fournir des benchmarks de salaires, des analyses de marché, des mises en relation avec des avocats ou des recruteurs, ou encore de répondre à des besoins plus complexes comme la structuration d’un recrutement stratégique, notre équipe est conçue pour réagir vite, avec des réponses concrètes.

Cette approche très outillée et mutualisée permet un accompagnement à la fois scalable et extrêmement réactif.

Quelles technologies ou méthodes utilisez-vous pour optimiser vos processus internes ?

Guilhem : Nous avons adopté une stratégie hybride pour structurer notre approche opérationnelle.

D’un côté, nous nous appuyons sur un ensemble d’outils externes pour le sourcing, la veille, le suivi des startups et l’analyse de données. De l’autre, nous avons internalisé une compétence data, avec une personne dédiée à l’orchestration et à l’optimisation de ces flux, afin d’assurer une cohérence globale dans l’usage de la donnée.

Cette combinaison nous permet d’être très agiles, notamment sur la partie sourcing. Le marché évolue rapidement, et pour garder un temps d’avance, nous testons régulièrement de nouvelles solutions. Nous cherchons des outils capables de détecter les signaux faibles, de couvrir efficacement les écosystèmes émergents, tout en offrant un bon niveau de fraîcheur de la donnée et une granularité pertinente.

Enfin, sur le plan du reporting à destination de nos LPs, nous avons déployé plusieurs automatisations pour structurer l’information en aval. Mais aujourd’hui encore, la donnée brute est principalement collectée par les investisseurs eux-mêmes. Le chantier en cours consiste donc à industrialiser cette étape amont, afin d’accroître la précision, la fiabilité et la scalabilité de notre reporting, dans une logique d’amélioration continue.

Qui sont vos LPs aujourd’hui, et quels profils visez-vous pour la suite ?

Guilhem : Nous avons construit un socle très diversifié d’investisseurs, ce qui nous offre une grande stabilité. Nos LPs regroupent plusieurs catégories : des fonds souverains comme le FEI (Fonds Européen d’Investissement), de grandes banques, des assureurs, des corporates avec qui nous entretenons des relations de long terme, et une part significative d’entrepreneurs individuels, souvent d’anciens fondateurs que nous avons accompagnés avec succès.

Au total, notre communauté compte environ 60 LPs. Cette diversité d’acteurs nous permet de traverser les cycles avec sérénité, tout en construisant des synergies utiles pour nos startups. Pour l’avenir, nous restons ouverts à l’entrée de nouveaux investisseurs institutionnels et internationaux, avec lesquels nous partageons une vision long terme.

Quelles sont les ambitions à court et moyen terme pour XAnge ?

Guilhem : Nous préparons activement la levée de notre prochain fonds institutionnel, prochaine étape clé dans le développement de XAnge. Ce nouveau véhicule s’inscrira dans la continuité de notre stratégie, avec une ambition renforcée : affirmer encore davantage notre dimension européenne. Historiquement, XAnge s’est construit autour d’un ancrage fort en France, en Allemagne et dans le Benelux. Demain, nous voulons élargir notre zone de chalandise à l’échelle de l’Europe, avec un coverage plus homogène sur l’ensemble du continent.

Le contexte actuel nous y encourage. La digitalisation croissante de l’écosystème VC, accélérée par la crise sanitaire, a largement fait tomber les barrières géographiques. Il est aujourd’hui bien plus simple qu’il y a cinq ou six ans de suivre un deal, de collaborer avec des équipes transfrontalières ou d’accompagner des fondateurs localisés partout en Europe dès l’early stage.

Dans le même temps, nous allons continuer à intensifier notre engagement sur certaines verticales stratégiques. La Deeptech en fait partie : c’est une conviction de fond, que nous avons construite depuis plusieurs années et que nous allons amplifier, tant en termes d’allocation de capital que de ressources internes. Notre ambition est claire : être parmi les acteurs de référence pour accompagner les technologies de rupture à l’échelle européenne.

Chez XAnge, l’obsession de la performance se conjugue avec un amour sincère de la technologie et une vision long terme des cycles d’innovation. Fondé sur une approche profondément collective, le fonds se démarque par sa capacité à détecter les signaux faibles et à accompagner avec méthode des entrepreneurs audacieux. Dans un paysage en pleine recomposition, XAnge trace une trajectoire exigeante, cohérente, et toujours résolument tournée vers l’avenir.