01/07/2025
13 minutes
Créé en 2018, Super Capital est un acteur atypique dans le monde du financement des entrepreneurs. Fondé sur un modèle hybride, mêlant business angels, micro-VCs et club deals, le groupe s’appuie sur une communauté engagée d’investisseurs-entrepreneurs pour accompagner la croissance de startups technologiques et de PMEs innovantes. À l’occasion de cette interview, Thibaut Gimenez, cofondateur de Super Capital, revient sur la genèse du projet, sa thèse d’investissement, ses outils, ses convictions… et ses ambitions globales.
Thibaut GIMENEZ
Founding Partner chez Super Capital
Thibaut : À la création de Super Capital, le constat était clair : il existait un vrai trou dans la raquette pour le financement des entrepreneurs en phase d’amorçage cherchant à lever entre 500 K et 1 M€. En dessous de ce montant, on trouve généralement des financements issus du réseau personnel ou de business angels isolés. Au-dessus, ce sont les fonds traditionnels qui interviennent. Mais dans cette tranche intermédiaire, les entrepreneurs se retrouvaient souvent seuls face à un processus fastidieux et chronophage : convaincre une trentaine de BA implique souvent de contacter des centaines de personnes. C’est un parcours qui peut freiner l’élan entrepreneurial.
Notre mission a donc été de fluidifier cet accès au financement en créant une communauté structurée d’investisseurs, capable de proposer une alternative plus agile que les plateformes de crowdfunding. Le but n’était pas de supprimer le lien humain, mais de le rendre plus scalable.
Avec le temps, le marché a évolué. Nous avons donc enrichi notre modèle avec trois piliers complémentaires : des business angels, des micro-VCs que nous co-gérons et un club deal destiné au follow-on sur les startups de notre portefeuille qui relève en seed ou série-A auprès de fonds VC institutionnels. Ce modèle nous permet d’intervenir à différents stades, de mieux équilibrer les risques et surtout, de continuer à offrir une vraie valeur ajoutée aux entrepreneurs qu’on accompagne.
Thibaut : Chez Super Capital, l’un des fondements du club deal, c’est le vote collectif. Chaque opportunité d’investissement est soumise à un vote des membres. Cela crée un engagement fort, mais ce n’est pas un processus entièrement naturel — il faut l’orchestrer intelligemment.
D’abord, il y a une logique de filtre dès l’entrée : on explique clairement que notre modèle repose sur l’implication des membres. Si quelqu’un cherche un placement passif, ce n’est pas le bon endroit. Ensuite, pour simplifier l’expérience, on a co-développé Shareable.vc, une plateforme de vote sécurisée et de gestion des investissements, avec notre cabinet d’avocats Lex Insight. Elle garantit une traçabilité et une conformité totale avec les règles AMF : les votes sont enregistrés, encryptés dans la blockchain, avec certificat à la clé. C’est un vrai gage de transparence. C’est cette combinaison entre rigueur, technologie et simplicité qui nous permet de faire vivre un modèle collectif à grande échelle.
Thibaut : On a aujourd’hui un portefeuille de plus de 200 startups, avec des profils très variés. Mais ce qui compte le plus pour nous au stade du pré-seed, ce sont les entrepreneurs. Leur capacité à aller au bout du projet, leur ambition, leur résilience.
Un exemple marquant, c’est BATIS, une société dans la tech BTP que nous avons accompagnée dès ses débuts, et qui a été rachetée récemment par l’Américain Once For All. Guillaume Persoz, le Co-founder & CEO venait du métier, Pierre Davy, le CTO nous avait été recommandé. Ce qui a fait la différence, c’est leur sérieux, leur capacité à exécuter, leur cohérence avec le marché. Une équipe humble, “low profile”, à l’écoute et bosseuse.
Autre cas emblématique : Arcades, fondée par Romain Torres et Dylan Fournier. Ils ont réalisé six pivots avant de trouver leur marché dans le marketing d’influence. C’est une masterclass de résilience. Leur capacité à s’adapter, à pivoter rapidement, à chercher le product-market fit dans des cycles courts, c’est exemplaire. Aujourd’hui, ils font plus de 7 millions d’euros d’ARR. Ils continuent de nous impressionner chaque jour.
Et enfin Elax Energie, une deeptech à impact qui développe du hardware pour réduire la consommation électrique. Ce qui nous a séduit, c’est l’alignement entre la vision des fondateurs, leur expertise et l’impact sociétal du projet. C’est un mix entre ambition, légitimité et cohérence.
Et puis un deal bonus, nous avons réalisé récemment notre première opération de reprise d’entreprise en faisant l’acquisition d’une usine de mécanique de précision aux côtés d’un dirigeant de notre communauté. Nous avons de grandes ambitions pour cette nouvelle activité.
Thibaut : L’intelligence artificielle reste une priorité, mais avec lucidité. Les grands modèles fondationnels (LLMs, etc.) sont dominés par les Américains et les Chinois. Ce n’est pas là que les acteurs français ou européens ont le plus d’atouts. Mais il y a un champ immense dans l’IA appliquée : santé, industrie, défense, environnement.
Là où l’accès à la donnée est complexe — parce qu’elle est sensible, fragmentée ou soumise à une réglementation stricte — les acteurs locaux disposent d’un véritable avantage compétitif. C’est particulièrement vrai dans des secteurs comme la santé, la défense ou l’industrie, où les données ne peuvent pas être librement utilisées par des acteurs étrangers. Dans ce contexte, des startups européennes peuvent créer des solutions sur mesure, avec une forte valeur ajoutée.
C’est ce qui nous a convaincus, par exemple, d’investir dans Primaa Lab, une startup spécialisée dans le diagnostic précoce du cancer. L’intelligence artificielle y est utilisée pour analyser plus rapidement et plus précisément des signaux complexes, dans un cadre strictement encadré et respectueux de la confidentialité des données médicales.
Plus globalement, l’IA montre déjà des performances supérieures à l’humain dans la perception sensorielle : elle “voit” mieux (analyse d’images médicales), “entend” mieux (analyse de sons ou de signaux audio), et demain, elle saura aussi “sentir” ou “toucher” mieux que nous grâce à des capteurs avancés. Tous les domaines où un diagnostic doit être posé — médical, industriel, environnemental — représentent donc des terrains d’innovation majeurs, dans lesquels nous croyons beaucoup.
Nous portons également une attention particulière aux enjeux d’impact environnemental, qui restent souvent secondaires dans les stratégies d’investissement de certains acteurs internationaux, notamment américains. Or, en Europe, ces thématiques sont au cœur des politiques publiques et des attentes sociétales, ce qui crée un écosystème favorable à l’émergence de startups engagées sur ces sujets.
L’intelligence artificielle peut y jouer un rôle déterminant : optimisation énergétique, rénovation thermique des bâtiments, gestion des ressources en eau ou anticipation des risques climatiques. Autant de domaines dans lesquels l’IA permet de modéliser, prévoir et automatiser des décisions complexes avec un fort levier d’impact. Cela crée un champ d’opportunités considérable, en particulier pour les solutions combinant technologie, sobriété et souveraineté des données.
Enfin, nous croyons beaucoup au potentiel de projets associant hardware et IA, surtout lorsqu’ils répondent à des problématiques locales ou réglementaires spécifiques. Ces solutions sont souvent plus difficiles à reproduire ou à concurrencer par des acteurs internationaux, car elles nécessitent un ancrage terrain, une chaîne logistique maîtrisée, voire une infrastructure physique. C’est ce que l’on retrouve dans des projets comme Elax Energy, qui combine hardware, IA et enjeux sociaux autour de la rénovation énergétique des logements modestes.
Thibaut : Notre approche va au-delà de l’investissement en capital. Nous avons structuré une offre intégrée qui combine equity, financements non dilutifs , subventions et accompagnement à la direction financière et au M&A. L’idée est de pouvoir conseiller les startups et PMEs sur l’ensemble de leur stratégie de financement, pas juste une levée.
Notre capacité à rassembler les différents acteurs du financement est ce qui plaît à nos entrepreneurs: investisseurs, banques, BPI, family offices. Nous jouons un rôle d’orchestrateur stratégique, capable de les aider à optimiser leurs montages et à sécuriser leur trajectoire.
Aujourd’hui, environ 30 % des startups de notre portefeuille font appel à cette offre globale. Nous accompagnons par ailleurs des acteurs hors de notre portefeuille, qui viennent chercher chez nous cette expertise transverse. C’est un prolongement naturel de notre ADN d’investisseurs stratèges et long-termistes.
Thibaut : Super Capital est né en France, mais notre vision est globale. Après l’ouverture de l’Inde en 2023, nous lançons désormais Super Capital Afrique & Moyen-Orient, avec un Venture Partner basé sur place, Axel Peyriere. Le principe est simple : chaque région est pilotée localement par un entrepreneur ou investisseur aguerri, qui agit comme éclaireur et relais.
Notre ambition est de créer une communauté internationale d’investisseurs-entrepreneurs, capable de partager des opportunités entre régions. Quelqu’un qui découvre notre club en Inde peut très bien investir demain dans une startup africaine, ou inversement. C’est cette logique de club mondial, fluide, interconnecté, que nous développons et qui est unique.
On recherche avant tout des profils mixtes, qui connaissent l’investissement mais aussi l’opérationnel. Ce sont eux qui incarnent notre marque localement, sourcent les deals et mobilisent les investisseurs.
Thibaut : Sur le sourcing, on reste très ancrés dans les réseaux : incubateurs, accélérateurs, fonds partenaires. Le dealflow est largement collaboratif. Nous complétons cela par du scrapping LinkedIn, et de l’enrichissement de bases de données mais nous ne reposons pas sur un moteur automatisé.
Là où la tech entre vraiment en jeu, c’est dans la génération de contenu, l’analyse de marché, la structuration d’informations. On utilise massivement les IA génératives pour synthétiser des decks, comparer des concurrents, produire des notes standardisées.
Le prochain chantier, c’est le reporting LPs. Aujourd’hui, c’est une tâche complexe et chronophage compte tenu de la profondeur de notre portefeuille : les données éparpillées, les formats et sources multiples (Carta,Visible, mails, etc.). Nous allons nous pencher sur l’orchestration d’IA pour agréger toutes ces sources, restructurer la donnée, et nous permettre de restituer des reportings lisibles. C’est un énorme gain de temps et de valeur pour l’écosystème.
Thibaut : Notre North Star, c’est d’atteindre 10 millions d’euros de financements déployés par an. On est aujourd’hui autour de 5 millions. Sur cinq ans, cela représenterait 50 millions d’euros investis dans 300 à 500 startups.
Mais au-delà des chiffres, notre ambition, c’est de détecter et soutenir la prochaine génération de scale-ups européennes. On espère y trouver quelques pépites capables de jouer dans la cour des grands, à la ContentSquare, Revolut ou Mistral.
Pour atteindre cet objectif, nous devons faire grandir notre communauté d’investisseurs, à la fois en France, en Europe et sur les marchés émergents. C’est pour cela que l’internationalisation est clé : les opportunités sont globales, et les talents aussi.
Super Capital bouscule les codes du financement early-stage. Porté par une vision humaniste et stratégique, le fonds invente un modèle hybride, communautaire et agile, à la croisée de la tech, de l’investissement et de l’impact. Avec une ambition claire : bâtir une nouvelle génération d’entrepreneurs, d’investisseurs et de repreneurs à succès… partout dans le monde.