Tomcat : Une approche engagée et réaliste de l’investissement early stage

09/07/2025

13 minutes

Co-fondateur de Tomcat, Jeremy Pouyer revient sur la genèse du fonds, ses convictions, ses méthodes et ses ambitions. À travers cette interview, il partage sans détour sa vision de l’investissement dans les startups B2B tech, ses exigences dans la sélection des projets, et l’importance qu’il accorde à l’accompagnement opérationnel des fondateurs.

Jérémy POUYER

Co-founder & CEO chez Tomcat

Pourquoi avoir créé Tomcat et quelle opportunité particulière avez-vous voulu saisir sur le marché de l’investissement early stage en deep tech ?

Jérémy : La création de Tomcat est née d’un premier parcours entrepreneurial : L’aventure ProwebCE, une startup lancée en 2001 par Patrice Thiry, devenue une scale-up, que nous avons ensuite cédée à Edenred en 2017. Cette expérience nous a permis de traverser toutes les étapes : la création, l’hypercroissance, les levées de fonds, les erreurs de recrutement, les succès comme les galères. Après cette aventure, nous avons naturellement commencé à investir en tant que business angels. Comme beaucoup, nous avons mis des tickets dans des startups sur la base d’un deck et d’un premier échange. Mais rapidement, nous avons compris que cette approche manquait de rigueur.

On investissait sur des profils qui, bien que prometteurs sur le papier, n’avaient jamais construit d’équipe ou géré une entreprise. Et surtout, le processus d’investissement early stage était souvent peu professionnel : on pariait sur des inconnus avec très peu de garanties. Investir dans une startup, ce n’est pas comme acheter de l’immobilier. Si la startup échoue, l’investissement peut disparaître du jour au lendemain.

Nous avons également constaté que l’écosystème français pousse beaucoup de jeunes à entreprendre, mais il devient de plus en plus difficile de distinguer les vrais entrepreneurs résilients de ceux qui se lancent sans réelle conviction. C’est de cette frustration qu’est né Tomcat : structurer une approche d’investissement plus professionnelle, passer du temps avec les équipes, comprendre en profondeur leurs capacités opérationnelles avant de s’engager financièrement. C’est ainsi qu’a été construit le premier fonds et notre programme d’accompagnement Apollo.

Qu’est-ce qui différencie Tomcat des autres fonds, notamment dans votre approche ou votre ADN ?

Jérémy : Chez Tomcat, nous ne croyons pas aux investissements rapides décidés après quelques meetings. Nous refusons l’idée d’investir sur la simple base d’un pitch ou d’un business plan. Notre conviction, c’est que la seule façon de véritablement évaluer une équipe, c’est de travailler avec elle.

C’est pourquoi nous avons conçu Apollo, un programme d’accélération immersif de six mois. Pendant cette période, nous mettons les mains dans le cambouis aux côtés des entrepreneurs : stratégie commerciale, pricing, positionnement, structuration RH, finances, et surtout, la vente. Nous leur demandons de prendre leur téléphone et de vendre en direct, devant nous. Nous intervenons sur tous les sujets concrets, car notre enjeu n’est pas de faire de la théorie : nous sommes payés en equity, donc notre réussite dépend directement de la leur.

Ce temps passé ensemble nous permet de vraiment évaluer les équipes. En moyenne, 25 à 30 % des startups accélérées chaque année reçoivent un investissement significatif de notre fonds Tomcat Ventures, car nous avons eu le temps de valider leur potentiel. C’est cette approche radicalement engagée et opérationnelle qui fait notre différence.

Sur votre site, vous mettez en avant un fort ancrage dans l’écosystème tech européen et une collaboration étroite avec des industriels et des grands groupes. Comment cela influence-t-il votre approche d’investissement et l’accompagnement des startups ?

Jérémy : Nous accompagnons des startups B2B tech, souvent sur des modèles SaaS ou marketplace. Ce que nous recherchons, ce sont des modèles résilients, avec des barrières à l’entrée liées à la capacité à vendre et à construire des équipes performantes.

Notre relation avec les grands groupes, c’est de jouer un rôle de tiers de confiance. Nous collaborons avec eux à double niveau : en tant que structures, mais aussi via les individus qui les composent, souvent des C-level ou des opérationnels clés. Beaucoup de ces profils font partie de notre communauté et sont également investisseurs chez Tomcat. Grâce à cette proximité, nous pouvons ouvrir des portes très rapidement à nos startups, leur faire gagner du temps précieux, et leur permettre d’accélérer leur cycle de vente en accédant directement aux bons interlocuteurs dans les grands comptes.

Vous avez accompagné déjà 90 startups depuis la création de Tomcat. Quels sont les critères spécifiques que vous regardez dans les startups B2B tech avant de vous engager ?

Jérémy : Ce qu’on regarde en priorité chez Tomcat, c’est la capacité des fondateurs à exécuter. On s’intéresse d’abord aux personnes. Est-ce que les fondateurs ont une vraie compréhension de leur marché ? Est-ce qu’ils savent vendre ? Est-ce qu’ils savent convaincre ? Est-ce qu’ils savent affronter les difficultés et se relever ? On accorde une importance primordiale à la résilience, à l’ambition, et à la capacité de passer à l’action concrètement.

On ne juge pas sur un pitch ou sur un business plan. On ne se contente pas de belles slides. On va beaucoup plus loin. Ce qu’on fait systématiquement, c’est les confronter à la réalité. Par exemple, on leur demande de passer des appels de prospection devant nous. On veut voir comment ils présentent leur solution, comment ils gèrent les objections, comment ils vendent vraiment. La vente est le cœur du succès en B2B. Si l’équipe fondatrice ne sait pas vendre son produit, c’est un signal d’alerte immédiat.

On est aussi très vigilants sur leur capacité à ajuster leur stratégie. Est-ce qu’ils sont capables d’écouter, d’analyser et de pivoter rapidement si besoin ? On cherche des fondateurs qui ne sont pas bloqués sur une vision rigide, mais qui savent apprendre, évoluer et intégrer les feedbacks marché.

Sur la partie financière, on est très attentifs aux montants qu’ils veulent lever. Beaucoup de start-up cherchent à lever des montants déconnectés de leur stade de maturité. Souvent, c’est parce qu’ils se comparent à d’autres tours sans vraiment comprendre leurs besoins opérationnels réels. Nous, on les challenge beaucoup là-dessus. On veut qu’ils lèvent ce qui est nécessaire, pas ce qui « fait bien » sur le papier. Lever trop tôt, c’est parfois un piège. Une start-up qui lève trop vite peut diluer ses fondateurs inutilement ou dépenser des fonds de manière inefficace. On les accompagne pour calibrer la levée de manière pertinente.

Un autre critère essentiel pour nous, c’est la taille et la dynamique du marché adressé. On investit uniquement dans des start-up B2B avec un potentiel de marché suffisamment large pour créer de la valeur significative. On s’assure aussi que la solution est différenciante, qu’elle répond à un vrai besoin et que l’équipe a une approche go-to-market bien pensée.
Enfin, la compatibilité humaine est capitale. C’est pour cela que l’accompagnement de six mois dans le programme Apollo est indispensable. C’est ce temps passé ensemble qui nous permet d’évaluer si l’on partage la même vision, si l’on est capables de travailler efficacement ensemble et si la relation peut être saine et durable. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut déceler en quelques réunions. Il faut se confronter ensemble au travail, au stress, aux ajustements, pour voir si ça fonctionne.

En résumé, on regarde l’équipe, leur capacité à vendre, leur rapidité d’exécution, la cohérence de leur levée de fonds, la pertinence de leur marché, et surtout, on valide tout cela à travers une collaboration opérationnelle de plusieurs mois avant d’investir sérieusement.

Pourriez-vous partager quelques exemples de participations emblématiques qui illustrent bien votre stratégie d’investissement ?

Jérémy : Oui, plusieurs de nos participations illustrent parfaitement la philosophie et la stratégie que l’on applique chez Tomcat. Ce qui est important de comprendre, c’est qu’on ne suit pas une seule trajectoire type. On accompagne des start-up qui ont des profils très différents, mais avec toujours la même exigence : un accompagnement opérationnel intense et une connaissance fine des équipes.

Un très bon exemple, c’est Abby. Abby, c’est une solution de pré-comptabilité qui aide à bancariser les indépendants. Quand ils sont arrivés chez nous, ils avaient très peu de chiffre d’affaires. Ils étaient encore en phase d’ajustement de leur modèle. On a travaillé avec eux dès le début, on les a accompagnés sur le go-to-market, la vente, la structuration commerciale. Aujourd’hui, ils réalisent plus de 3 millions d’euros d’ARR. C’est une croissance très forte et nous sommes fiers de voir l’impact que notre collaboration a eu sur leur trajectoire. Ce que j’apprécie particulièrement dans leur parcours, c’est qu’ils ont su maîtriser leur financement, éviter la sur-dilution et apprendre à grandir progressivement avec les bons outils et la bonne stratégie.

Un autre projet qui reflète bien notre stratégie, c’est Najar. C’est un logiciel de procurement qui a été fondé par deux entrepreneurs incroyables, Vincent Coste et Killian Buffard. Ils sont passés par notre programme Apollo, puis nous avons investi à travers le fonds. Leur croissance a été rapide et structurée. Ils ont réussi à séduire rapidement des investisseurs étrangers comme Portage (fonds américain) et 13books Capital (fonds UK). Najar illustre parfaitement le type de start-up que l’on aime : des solutions B2B robustes, avec un vrai potentiel de déploiement européen, portées par des équipes solides et ambitieuses.

On peut aussi parler de Mendo, qui est une start-up très intéressante. Ils développent un logiciel qui permet aux grands groupes d’accélérer l’adoption de l’intelligence artificielle en interne. C’est un vrai sujet aujourd’hui : comment faire pour que les collaborateurs d’un grand groupe intègrent l’IA dans leurs processus quotidiens ? Mendo adresse cette problématique de manière très efficace. Ils ont réussi à signer rapidement de très gros clients corporate et ont levé 3 millions d’euros. On les a accompagnés dès leurs débuts, et leur progression rapide est un bon exemple de ce que permet notre méthode.

Webyn est un autre cas qui illustre bien notre approche. C’est une plateforme qui améliore l’expérience utilisateur sur les sites e-commerce en optimisant les parcours clients. Webyn, c’est un peu un croisement entre Contentsquare et AB Tasty. Ils apportent une vraie valeur aux e-commerçants en améliorant leurs taux de conversion. On les a accompagnés très tôt dans leur développement et ils continuent aujourd’hui à croître rapidement avec une stratégie B2B bien ciblée.

Un autre exemple structurant dans l’histoire de Tomcat, c’est Manda (anciennement Hello Syndic), qui a été l’une des premières start-up que nous avons accélérées. C’est avec Manda que nous avons structuré notre tout premier véhicule d’investissement. On a investi 1,3 million d’euros après six mois de travail avec eux. C’était une première validation de notre méthode et de notre modèle d’accompagnement long et engagé.

Ce qui ressort de tous ces exemples, c’est que chaque start-up a son propre chemin, mais notre point commun, c’est de toujours passer par une phase de travail intensif avant d’investir significativement. On construit une relation forte, on se confronte aux problématiques concrètes avec les équipes, et c’est cette approche qui nous permet d’identifier les projets avec le plus fort potentiel. Notre portefeuille est le reflet de cette conviction : on peut accélérer des trajectoires très différentes, mais toujours avec des bases solides et des équipes prêtes à aller loin.

Le programme Apollo semble être un levier d’accompagnement différenciant chez Tomcat. Qu’est-ce qui rend ce programme unique et quel impact avez-vous observé ?

Jérémy : Apollo, c’est vraiment ce qui nous différencie chez Tomcat. Ce n’est pas un simple accélérateur : c’est un programme d’accompagnement ultra-opérationnel où on s’implique à 100 % pendant six mois aux côtés des fondateurs. Ce qui est unique, c’est qu’on ne prend aucun frais, on est rémunérés uniquement en equity. Si la start-up ne réussit pas, on ne gagne rien. On est donc totalement alignés avec leur succès.

Pendant le programme, on travaille main dans la main sur cinq piliers : la proposition de valeur, la vente, la structuration financière, le recrutement et le financement. On va très loin dans l’exécution. Par exemple, on fait passer des appels de prospection en direct, on restructure les offres commerciales et on challenge concrètement leur modèle. On les aide aussi à calibrer leurs besoins de financement pour éviter qu’ils lèvent trop ou trop peu.

L’impact est réel : en six mois, les start-up doublent souvent leur chiffre d’affaires récurrent (MRR). Elles passent en moyenne de 20K à 40-60K de MRR et deviennent beaucoup plus solides. Surtout, on apprend à connaître les équipes en profondeur. On ne mise jamais uniquement sur un pitch. Ce temps partagé nous permet de prendre des décisions d’investissement beaucoup plus éclairées et de réellement dérisquer nos choix.

Vous évoquez également l’importance d’un “vrai partenariat” avec vos entrepreneurs. Comment cela se traduit-il concrètement dans votre relation avec les fondateurs ?

Jérémy : Pour nous, un vrai partenariat, ça ne se construit pas en quelques réunions. On passe beaucoup de temps avec les fondateurs, on est dans l’opérationnel avec eux pendant des mois. On ne se limite pas à un rôle d’investisseur financier : on bosse à leurs côtés sur la vente, la stratégie, les recrutements, les finances, au quotidien.

Ce qui compte, c’est la confiance et l’alignement sur le long terme. On veut des relations où on peut se dire les choses franchement, challenger les équipes sans filtre, mais toujours dans leur intérêt. C’est un partenariat basé sur la proximité, la transparence et l’action. On s’implique vraiment, et c’est pour ça qu’on sélectionne peu de projets : on veut pouvoir être présents et utiles sur toute la durée.

Vous avez récemment structuré un deuxième fonds, entre 80 et 100 millions d’euros. Pouvez-vous nous en dire plus sur la stratégie et les objectifs de ce deuxième fonds ?

Jérémy : Ce deuxième fonds reste dans la continuité du premier : on continue d’investir principalement dans les meilleures start-up issues de notre programme Apollo. Ce qui change, c’est la taille des tickets. On va pouvoir investir jusqu’à 700 000 euros par start-up, ce qui nous permet de suivre plus longtemps les projets qu’on accompagne dès le début.
Avec ce fonds, on peut aussi soutenir nos start-up sur leurs levées de série A, ce qu’on ne pouvait pas faire avec le premier véhicule, faute de taille suffisante. C’est un vrai changement : on va pouvoir rester plus engagés dans la durée, avec des montants significatifs.

Enfin, ce deuxième fonds nous donne plus de flexibilité. On pourra investir dans des start-up qui n’ont pas nécessairement suivi notre programme Apollo, à condition qu’on ait passé suffisamment de temps avec elles – au minimum trois à quatre mois – pour valider la qualité de l’équipe et la compatibilité humaine. C’est ce qu’on a fait récemment avec Comet. Même si ce projet n’était pas passé par l’accélérateur, on avait assez travaillé ensemble pour avoir la conviction nécessaire pour investir. Mais ce sera toujours une exception : la majorité de nos investissements resteront concentrés sur les start-up que nous accompagnons au quotidien.

Quels profils de LPs ciblez-vous pour accompagner la croissance de Tomcat avec ce nouveau fonds ?

Jérémy : Avec le deuxième fonds, on élargit notre base de LPs. On s’ouvre davantage aux family offices, qui sont des partenaires très alignés avec notre vision. Ce sont souvent des structures portées par des entrepreneurs qui partagent notre approche long terme et qui recherchent des investissements plus diversifiés, notamment dans la tech.

Sur le premier fonds, on avait environ 50 LPs, principalement des C-levels, des entrepreneurs et quelques corporates. Pour le deuxième, on reste fidèles à cette logique : des investisseurs proches de l’écosystème, impliqués, et capables d’apporter bien plus que de l’argent. On augmente la taille des tickets, mais on tient à garder cette relation directe et de proximité avec nos LPs. C’est ce qui fait la force de notre modèle.

Le métier d’investisseur évolue rapidement. Quelles technologies ou méthodes utilisez-vous aujourd’hui pour optimiser vos processus ?

Jérémy : Chez Tomcat, on mise avant tout sur l’intensité humaine. On rencontre environ 50 start-up par semaine, grâce à une équipe dédiée au sourcing. On organise des premiers échanges courts, d’environ 15 à 20 minutes, pour maximiser le volume et s’assurer de ne pas passer à côté de projets ambitieux.
La majorité de notre dealflow vient de la prospection active et de notre réseau. On ne se contente pas d’attendre que les dossiers arrivent à nous. On va chercher les bons projets en amont.

Sur la partie accompagnement, on structure nos programmes de manière très précise. On consacre en moyenne 60 heures par start-up pendant le programme Apollo. Aujourd’hui, on n’a pas encore industrialisé le process avec des outils d’intelligence artificielle ou des scoring automatisés, mais on reste attentifs à ces solutions pour améliorer notre sourcing et gagner en efficacité sans jamais perdre la qualité du lien humain, qui reste au cœur de notre méthode.

Quelles sont vos ambitions à court et moyen terme pour Tomcat ?

Jérémy : À court terme, notre priorité est de continuer à renforcer notre réseau d’entrepreneurs et de C-levels. Ce sont eux qui peuvent vraiment accélérer la croissance des start-up qu’on accompagne, que ce soit en ouvrant des portes commerciales, en apportant du mentorat ou en rejoignant nos projets.

On veut aussi améliorer encore la qualité de notre accompagnement, notamment sur les sujets tech, produit et IA. On cherche à intégrer des partenaires qui ont une forte expertise opérationnelle dans ces domaines pour continuer à faire progresser nos start-up sur ces aspects stratégiques.

Enfin, on reste concentrés sur notre capacité à bien évaluer les équipes, à prendre des décisions d’investissement pragmatiques et à garder cette approche humaine et engagée. Notre ambition est d’accompagner 70 start-up d’ici 2030, avec toujours le même niveau d’implication et de proximité.

Avec Tomcat, Jérémy Pouyer et ses équipes réinventent les codes de l’investissement early-stage. Leur approche, centrée sur l’accompagnement terrain et l’implication directe aux côtés des fondateurs, casse les logiques classiques du venture. Ici, pas de paris à distance ni de décisions prises sur la base de quelques slides : Tomcat investit du temps, de l’énergie et des compétences avant d’investir de l’argent.
C’est une méthode exigeante, résolument pragmatique et profondément humaine, qui place la relation et la création de valeur durable au cœur du processus. Plus qu’un fonds, Tomcat est un véritable partenaire de croissance, au service d’entrepreneurs ambitieux prêts à construire des entreprises solides et pérennes.