08/10/2025
13 minutes
Fondé en 2020, Spring Invest s’est rapidement imposé comme un acteur singulier dans le paysage de l’investissement. Spécialisé dans le futur du commerce, le fonds se distingue par une approche sectorielle ciblée et une volonté affirmée d’accompagner les entreprises au-delà du capital. Dans cet entretien, Alexandre GUILLOT, Partner chez Spring Invest, revient sur la genèse du projet, son ADN, sa stratégie et ses ambitions pour les années à venir.
Alexandre GUILLOT
Partner chez Spring Invest
Alexandre : Spring Invest est un fonds d’investissement créé en 2020, spécialisé sur la thématique du futur du commerce. Concrètement, nous investissons sur toute la chaîne de valeur du commerce et de la consommation. Environ 75 % de nos investissements concernent des sociétés B2B, principalement dans la tech et le software — marketing, data, supply chain, retail média, logistique, intelligence artificielle. L’autre partie cible des sociétés B2C : marques, marketplaces, seconde main, applications consumer ou encore new retail. Nos investissons des tickets de 500k à 3 millions d’euros.
Le marché sur lequel nous intervenons présente trois caractéristiques essentielles pour un investisseur. Il est d’abord profond, avec près de 7 000 sociétés cibles identifiées. Il est ensuite attractif : depuis 2020, environ 700 opérations ont été menées, représentant 9 milliards d’euros investis. Enfin, il est liquide, puisque sur la même période près de 400 opérations de M&A ont été recensées.
À cela s’ajoute un sous-jacent marqué par de profondes mutations structurelles : le content commerce, l’IA appliquée au marketing et à la publicité, la révolution du GEO (Generative Engine Optimization), la digitalisation du commerce B2B, les sujets de fraude et cybersécurité, ou encore les tensions croissantes sur la logistique. Autant de signaux qui font du futur du commerce un terrain d’investissement particulièrement stimulant.
Alexandre : Notre ADN repose essentiellement sur notre spécialisation sectorielle. Contrairement aux fonds généralistes, nous avons une connaissance fine du marché du commerce et de la consommation. Cette expertise nous permet d’investir avec discipline et de résister aux effets de mode. Nous avons par exemple choisi de ne pas investir dans le Quick Commerce, le video shopping, les Amazon Sellers Aggregators ou le dernier kilomètre, malgré leur attrait ponctuel.
Ces marchés se sont révélés destructeurs de valeur. À l’inverse, nous avons misé sur des thématiques structurelles comme les ONVB, le retail media, la logistique omnicanale, l’IA appliquée au marketing, la robotisation, que nous pensons créatrices de valeur durable.
Notre différence réside aussi dans l’écosystème que nous avons construit. Nous collaborons avec près de 300 décideurs (corporates, foncières, médias, anciens entrepreneurs, fournisseurs de solutions tech) qui nous apportent un avantage compétitif tout au long du cycle d’investissement : sourcing, analyse, accélération commerciale et préparation des exits. Nous ne sommes pas de simples apporteurs de capital, mais des partenaires impliqués qui accompagnent concrètement les sociétés de notre portefeuille.
Alexandre : Effectivement, notre rôle ne s’arrête pas à l’apport financier. Une fois l’investissement réalisé, nous activons plusieurs leviers pour renforcer la trajectoire de croissance des entreprises du portefeuille.
Le premier axe concerne les ressources opérationnelles. Nous mobilisons des profils expérimentés issus de notre réseau : anciens entrepreneurs, dirigeants ou directeurs commerciaux. Leur mission est d’apporter un soutien ciblé sur des problématiques métiers. Cela peut aller de la structuration des équipes RH lors d’une phase d’hypercroissance, à la mise en place d’une organisation commerciale robuste, en passant par des décisions stratégiques liées à l’internationalisation. Nous privilégions une approche pragmatique : des dirigeants qui ont déjà traversé ces étapes viennent coacher les fondateurs de manière très concrète.
Le deuxième axe est l’accélération commerciale, particulièrement pour nos participations B2B. Nous ne faisons pas la vente à la place des équipes, mais nous créons les conditions pour qu’elles puissent accéder aux bons interlocuteurs. Concrètement, nous multiplions les mises en relation avec des décideurs de haut niveau, que ce soit au sein de comités exécutifs ou à des échelons plus opérationnels. Nous jouons également un rôle de prescripteur auprès de notre réseau, ce qui permet de générer des leads qualifiés et d’accélérer la pénétration commerciale.
Le troisième axe, souvent moins visible mais décisif, concerne la préparation des exits. Nous commençons ce travail très en amont en entretenant un dialogue régulier avec les acquéreurs industriels et les fonds d’investissement. Cela permet aux acteurs susceptibles d’entrer au capital de suivre l’évolution des entreprises sur plusieurs mois, voire plusieurs années, avant qu’une transaction ne se concrétise. Ainsi, le jour où une opportunité de cession se présente, ils arrivent bien mieux préparés. C’est exactement ce que nous avons fait avec Cabaïa, notre première sortie réalisée en 2023. Nous avons orchestré en amont des rencontres entre les dirigeants et des fonds d’investissement, ce qui a facilité et accéléré le processus de cession.
Au-delà de Cabaïa, nous accompagnons également d’autres sociétés emblématiques de notre portefeuille comme Acolyt, Ouidrop, Mediarithmics dans le B2B, ou encore Tranché et Smala dans le B2C. Chacune bénéficie d’un accompagnement adapté : structuration stratégique, coaching des fondateurs, développement produit, ou encore accélération commerciale. Bien sûr, il existe un paradoxe : les meilleurs entrepreneurs sont souvent ceux qui ont le moins besoin de nous, car ils maîtrisent déjà très bien leur marché et leur croissance. Mais même dans ces cas-là, notre rôle de sparring partner et notre capacité à ouvrir les bonnes portes restent des atouts appréciés.
Alexandre : Le modèle DNVB a montré ses limites. Beaucoup de ces sociétés sont aujourd’hui contraintes de repenser leur stratégie pour atteindre la rentabilité sans financement extérieur. Certaines y parviennent, mais beaucoup n’ont pas résisté. Ce constat ne signifie pas que les DNVB sont intrinsèquement de mauvais business ; il révèle simplement la difficulté de concilier ce modèle avec celui d’un fonds d’investissement.
En effet, le modèle initial des DNVB reposait souvent sur des produits standardisés, achetés auprès des mêmes fournisseurs, distribués via des canaux d’acquisition devenus saturés et coûteux. Cela créait une concurrence intense et une faible différenciation. Dans ce contexte, il devenait difficile d’atteindre une taille critique, de construire des avantages compétitifs durables et donc une valeur solide au moment de la cession.
C’est pourquoi nous privilégions des entreprises capables d’aller au-delà de ce schéma en apportant une vraie singularité. Cabaïa en est un bon exemple : une communauté très engagée, des produits iconiques et propriétaires, un modèle omnicanal qui leur a permis de passer à l’échelle rapidement, et des marges confortables. Tranché illustre une autre approche : un réseau de néo-boulangeries qui s’appuie avant tout sur un savoir-faire artisanal, des emplacements premium et un modèle hybride avec une cuisine centrale, garantissant qualité et excellence opérationnelle. Smala, enfin, opère dans la seconde main pour enfants avec une maîtrise rare de la chaîne de valeur : capacité à attirer de la marchandise, à la revaloriser efficacement sous contrainte de coûts, et à incarner une marque forte qui fidélise sa clientèle.
Ces trois exemples montrent notre grille de lecture : au-delà du simple modèle DNVB, nous recherchons des sociétés qui possèdent un savoir-faire, une communauté engagée ou une excellence opérationnelle différenciante. C’est cette combinaison qui crée de la valeur durable, tant pour les consommateurs que pour les investisseurs.
Alexandre : Nos Limited Partners se répartissent en quatre grandes catégories : les institutionnels, les corporates, les familles et les entrepreneurs individuels. Chacun d’entre eux a un rôle et un degré d’implication différent, et nous adaptons notre relation en fonction de leurs attentes.
Parmi les institutionnels, Bpifrance a un rôle structurant dans la gouvernance du fonds. Ce qu’ils attendent de nous, c’est d’avoir une information claire et régulière sur la performance du fonds et l’évolution des participations. Nos interlocuteurs sont aussi très actifs pour orienter nos participations vers les différents services offerts par Bpifrance.
Les corporates, en revanche, sont les partenaires avec lesquels nous interagissons le plus activement. Ils ne se contentent pas d’investir : ils cherchent aussi à nourrir leur propre réflexion stratégique. Concrètement, cela peut prendre la forme d’échanges de veille sectorielle, d’accès privilégié à des entrepreneurs, de présentations de tendances marché ou encore d’analyses stratégiques approfondies.
Les familles et les entrepreneurs individuels représentent une autre composante importante de notre base d’investisseurs. Leur degré d’implication varie énormément selon leurs envies et leur disponibilité. Certains préfèrent rester discrets et suivre simplement les reportings, tandis que d’autres s’impliquent activement aux côtés des entreprises de notre portefeuille. C’est particulièrement intéressant lorsqu’il s’agit d’anciens fondateurs ou dirigeants qui ont déjà réussi : ils peuvent partager leur savoir-faire, leur expérience et leur réseau pour aider directement les sociétés dans lesquelles nous investissons. Cela peut se traduire par du mentoring pour les équipes dirigeantes, des conseils sur la structuration d’une stratégie internationale ou encore un appui sur des problématiques opérationnelles très concrètes.
Aujourd’hui, nous comptons une trentaine de LPs. Cette diversité est une force, car elle nous permet de combiner des profils très complémentaires : la stabilité et l’exigence des institutionnels, la vision stratégique des corporates, et l’expérience entrepreneuriale des familles et investisseurs individuels. Notre ligne directrice reste toutefois la même pour tous : être transparents, disponibles et à l’écoute, afin de construire une relation de confiance durable.
Alexandre : La question de la digitalisation des fonds est devenue centrale, avec l’émergence du concept de « data-driven VC ». Pour les fonds généralistes, c’est un enjeu presque vital : lorsqu’ils doivent suivre des milliers, voire des dizaines de milliers de sociétés à travers plusieurs géographies, il est tout simplement impossible de tout couvrir sans outils avancés d’analyse de données, de scoring automatisé ou d’intelligence artificielle.
Notre situation est différente. En étant spécialisés sur le futur du commerce, nous avons réduit notre univers d’investissement à une taille plus humaine : environ 500 opportunités d’investissement par an, que nous sommes capables d’analyser quasiment de manière exhaustive. Cela ne veut pas dire que nous nous privons des outils digitaux. Nous utilisons les plateformes classiques comme Crunchbase, CB Insights, SimilarWeb, ainsi qu’un CRM intégré et quelques automatisations pour améliorer notre productivité et notre réactivité. Mais à nos yeux, ces outils relèvent plus de l’efficacité opérationnelle que d’une véritable révolution méthodologique.
Notre véritable avantage compétitif réside dans notre réseau. Nous entretenons des relations régulières avec des centaines d’acteurs de l’écosystème — entrepreneurs, corporates, experts métiers — qui agissent comme une extension naturelle de notre équipe. Ce réseau nous apporte un deal flow qualifié, des perspectives de marché, des analyses sectorielles et même du soutien dans l’accompagnement des sociétés. Autrement dit, plutôt qu’un modèle purement « data-driven », nous revendiquons une approche « network-driven » qui capitalise sur la proximité sectorielle et la qualité des relations.
Alexandre : Nous venons de lancer la levée de notre deuxième fonds, avec un objectif de 75 millions d’euros et un hard cap à 100 millions. Cela représente un doublement de la taille de notre premier véhicule, créé en 2020, et constitue une étape naturelle dans notre développement. Ce nouveau fonds conserve les fondations qui font notre ADN : une discipline stricte dans les investissements, un accompagnement opérationnel poussé et un souci permanent de préparer la liquidité dès l’entrée au capital.
La nouveauté réside dans l’élargissement de notre spectre. Nous souhaitons déployer des tickets un peu plus importants et être capables de couvrir différents types d’opérations : venture, capital-développement, mais aussi LBO small cap. Notre spécialisation sectorielle et notre track-record nous donne une agilité particulière, qui nous permet d’adapter la nature de nos interventions en fonction des opportunités, tout en restant concentrés sur notre verticale.
L’internationalisation constitue également une ambition forte. Nous observons déjà une augmentation significative du deal flow étranger dans notre secteur, et nous voulons être capables de saisir ces opportunités au-delà de la France. Cela passera par un renforcement de notre réseau, mais aussi par une capacité à accompagner nos participations dans leurs propres stratégies de développement international.
Enfin, il est essentiel pour nous de rester pleinement mobilisés sur le premier fonds. En plus de notre première cession réussie sur Cabaïa, plusieurs participations sont arrivées à maturité et suscitent déjà l’intérêt d’acquéreurs. Notre priorité est donc double : réussir la levée et le déploiement du deuxième fonds, tout en concrétisant des opérations de liquidité sur le premier. Nous voulons démontrer que notre approche génère des résultats tangibles et durables, pour nos entrepreneurs comme pour nos investisseurs.
Spring Invest incarne une conviction forte : le futur du commerce se construit avec rigueur, pragmatisme et proximité avec les entrepreneurs. En misant sur la rentabilité, la résilience et l’accompagnement concret, le fonds entend non seulement financer des sociétés prometteuses, mais aussi les aider à devenir des références durables de leur marché.