Otium : l’entrepreneuriat comme moteur d’investissement

30/11/2025

13 minutes

Créé en 2009 par Pierre-Édouard Stérin, fondateur de Smartbox, Otium s’est imposé comme un acteur atypique du capital-investissement en France et en Europe. À mi-chemin entre un investisseur et un entrepreneur, le groupe conjugue liberté stratégique, accompagnement durable et esprit de création. Dans cet entretien, François Durvye, Directeur général d’Otium, revient sur la philosophie de la maison, sur sa manière d’accompagner les entrepreneurs et sur la vision qui façonne le développement d’Otium.

François Durvye

Directeur général chez Otium

Quelles sont les convictions initiales qui ont guidé la création d’Otium ?

François DURVYE : Otium est avant tout né de la volonté d’un entrepreneur de continuer à créer. Après avoir fondé Smartbox en 2003 avec seulement 5 000 euros de capital, Pierre-Édouard Stérin a connu un succès fulgurant. Lorsque l’entreprise est devenue trop grande pour satisfaire son goût de la création, il a souhaité concevoir un véhicule qui lui permette de prolonger cette énergie entrepreneuriale autrement : en accompagnant d’autres fondateurs dans leurs projets.

C’est ainsi qu’est né Otium, un single family office chargé de gérer son actif professionnel, mais surtout d’investir dans la création et le développement de nouvelles entreprises.

Dès ses débuts, Otium s’est construit autour d’une conviction forte : l’investissement doit être au service de l’entrepreneuriat. L’objectif n’est pas seulement de financer des entreprises, mais de contribuer activement à leur construction, de les faire croître et de leur permettre d’atteindre leur plein potentiel.

Nous nous définissons comme des acteurs à mi-chemin entre investisseurs et entrepreneurs. Cette double identité influence profondément notre manière de travailler : nous partageons la rigueur et l’analyse propres à l’investissement, mais aussi l’instinct, l’audace et la créativité des fondateurs.

Ce positionnement hybride est notre marque de fabrique. Il nous permet d’adopter une approche plus intuitive, plus proche du terrain, et de bâtir des relations de long terme fondées sur la confiance et la co-construction.

Votre modèle repose sur un accompagnement long terme et une absence de contrainte de durée. Comment cela se traduit-il dans la pratique ?

François DURVYE : Notre manière d’investir repose avant tout sur le temps long. Nous intervenons très tôt dans la vie des entreprises, souvent à un moment où il n’y a encore qu’une idée, une conviction et beaucoup d’incertitudes. C’est précisément à ce stade que l’esprit entrepreneurial est le plus nécessaire.

Dans de nombreux cas, nous co-créons les sociétés que nous finançons. Il arrive que nous partions d’une idée issue de nos réflexions internes, puis que nous cherchions l’entrepreneur le plus adapté pour la porter. Nous ne sommes donc pas seulement des investisseurs ; nous sommes aussi des bâtisseurs aux côtés des fondateurs.

Une fois au capital, nous restons profondément impliqués dans la vie de l’entreprise. Nous aimons être présents sur les sujets clés : stratégie, recrutement, gouvernance, structuration. J’aime dire que nous sommes des actionnaires très actifs, précisément l’inverse de silent partners. Nous ne nous contentons pas d’observer : nous participons activement à la prise de décisions, toujours dans un esprit de partenariat exigeant et bienveillant.

Cette proximité s’explique aussi par notre structure. Nous ne sommes pas un fonds : nous n’avons donc aucune obligation de sortie à une date donnée. Cela change tout. Nous pouvons accompagner une entreprise aussi longtemps que nous estimons lui apporter de la valeur. Et lorsque nous jugeons que notre mission est terminée — quand la société devient très grande et que les enjeux sont désormais purement opérationnels —, nous savons passer le relais à un actionnaire plus adapté.

Cette liberté temporelle, couplée à une grande exigence dans l’accompagnement, est au cœur de notre modèle. Elle nous permet de construire des entreprises solides, ambitieuses et pérennes, sans céder à la pression du court terme.

Qu’est-ce qui différencie Otium sur le marché du capital-investissement ?

François DURVYE : Notre différence essentielle, c’est la liberté. L’immense majorité des fonds d’investissement lèvent de l’argent auprès de LPs et s’engagent sur une thèse d’investissement prédéfinie : une zone géographique, un secteur, un type d’actif ou un stade de maturité. Cette structure impose naturellement des contraintes : ils ne peuvent investir que dans ce qu’ils ont « promis » à leurs souscripteurs.

Chez Otium, nous n’avons qu’un seul actionnaire. Nous pouvons investir dans n’importe quel secteur, dans n’importe quel pays, et à n’importe quel moment du cycle de vie d’une entreprise, dès lors que nous sommes convaincus de la pertinence du projet. Cette souplesse stratégique est l’un de nos plus grands atouts.

Elle nous permet d’identifier des opportunités là où d’autres ne peuvent pas aller.

Un exemple concret : il y a trois ans, nous avons créé Alfeor, une société qui consolide les sous-traitants de la filière nucléaire. À cette époque, la quasi-totalité des fonds avaient inscrit dans leurs statuts qu’ils ne pouvaient pas investir dans le nucléaire, considéré comme incompatible avec leurs critères ESG. Nous n’avions, nous, aucune restriction de ce type, et avons pu investir avant tout le monde dans un secteur redevenu stratégique aujourd’hui.

Cette liberté de thèse, doublée de notre approche entrepreneuriale, fait notre singularité. Nous ne sommes pas contraints par des critères formels ; nous sommes guidés par la logique économique, la qualité des équipes et le potentiel de création de valeur. Cela nous permet d’agir avec rapidité, de nous positionner tôt et de construire des entreprises solides, indépendamment des modes et des cycles de marché.

Quels sont vos critères avant d’investir ou de créer une entreprise ?

François DURVYE : Nous cherchons avant tout des marchés profonds, capables de générer une croissance durable et d’atteindre une taille significative. Avec environ 1,7 milliard d’euros d’actifs et 130 participations à date, et une ambition d’atteindre 5 milliards d’euros d’actifs à l’horizon 2030, chaque projet doit avoir un poids réel dans la création de valeur globale du portefeuille, ce qui suppose de concentrer nos efforts sur des entreprises à très fort potentiel.

Nous attachons également une grande importance à l’originalité de l’offre. Nous voulons créer ou soutenir des entreprises qui se distinguent, qui proposent quelque chose de différent — que ce soit dans le produit, la méthode, le positionnement ou l’expérience client. Sans différenciation claire, il n’y a pas de marge durable ni d’avantage compétitif.

Et surtout, le facteur humain est essentiel. Nous ne lançons jamais un projet sans avoir trouvé le bon entrepreneur pour le diriger. Les idées sont nombreuses, mais les bons porteurs de projet sont rares. Nous recherchons des profils capables de conjuguer audace, ambition et lucidité, des personnalités prêtes à prendre des risques tout en gardant la tête froide, avec une très forte capacité d’exécution.

C’est cette combinaison — un marché porteur, une offre singulière et un entrepreneur d’exception — qui fait, selon nous, la réussite d’un investissement. Quand ces trois éléments s’alignent, nous savons que nous pouvons créer quelque chose de fort et de durable.

Pouvez-vous partager quelques exemples d’entreprises emblématiques accompagnées par Otium ?

François DURVYE : Un exemple marquant est celui de Dossier, une marque de parfums en ligne lancée aux États-Unis. Le projet est né d’une observation simple : l’industrie du parfum repose avant tout sur le marketing, avec des marges brutes très élevées. En Europe, la publicité comparative est interdite. Il est impossible de dire qu’un parfum est « inspiré de » telle marque de luxe. Aux États-Unis, cette pratique est autorisée.

Nous avons donc créé une marque capable de proposer des fragrances proches de celles des grands noms de la parfumerie, mais à des prix accessibles. Sept ans plus tard, Dossier dépasse les 100 millions de dollars de chiffre d’affaires, est largement rentable et illustre parfaitement notre approche : identifier une contrainte, la contourner intelligemment, et transformer une idée simple en une entreprise à forte croissance.

Autre exemple, Comet Software, lancé il y a presque deux ans, qui illustre notre stratégie de consolidation sectorielle. Le marché des petites entreprises de logiciels en France est fragmenté et peu visible. En agrégeant plusieurs d’entre elles — souvent des structures entre 0,5 et 3 millions d’euros d’EBITDA —, nous avons pu constituer un acteur solide, cohérent et valorisé à sa juste mesure. Cette approche consiste à regrouper des entreprises “sous le radar” pour en faire un ensemble visible, structuré et attractif pour des investisseurs institutionnels.

Enfin, le projet Giftory, lancé aux États-Unis, une déclinaison 100% digitale du modèle Smartbox, qui a réalisé plus de 20 millions de dollars de chiffre d’affaires en moins de deux ans. Nous accompagnons le fondateur sur la stratégie, l’acquisition de clients en ligne et le développement commercial. Ce projet illustre la richesse de notre accompagnement : au-delà du capital, nous apportons un réseau, une expertise sectorielle et un soutien opérationnel quotidien.

Ces exemples traduisent notre vision : nous aimons créer et soutenir des entreprises ambitieuses, rentables et construites sur des idées simples, mais exécutées avec exigence et détermination.

Votre ambition est de devenir une « plateforme d’investissement européenne majeure » avec 5 milliards € d’actifs d’ici 2030. Quels sont, selon vous, les leviers clés pour atteindre ces objectifs ?

François DURVYE : Notre feuille de route est claire : chaque projet que nous lançons doit être capable de générer un taux de rendement interne (TRI) d’au moins 25 % et un potentiel de 100 millions d’euros de gain en capital. Ce niveau d’exigence garantit la sélectivité et la performance de nos investissements.

Pour passer de 1,7 à 5 milliards d’euros d’actifs sous gestion, nous devons combiner plusieurs leviers. D’abord, augmenter la taille moyenne de nos projets, en continuant à investir dans des entreprises à fort potentiel tout en maintenant la même discipline de rendement. Ensuite, poursuivre la diversification géographique : aujourd’hui, environ 50 % de nos actifs se trouvent en France, 25 % en Europe de l’Ouest et 25 % aux États-Unis. À l’avenir, nous voulons renforcer cette présence internationale, notamment sur les marchés nord-américains, où nos modèles économiques trouvent souvent une échelle plus importante.

Nous comptons aussi sur la création continue de nouvelles sociétés via Otium Studio, qui représente un levier de croissance organique majeur. Chaque année, nous lançons entre 6 et 8 nouvelles entreprises, dont une part croissante à l’étranger.

Enfin, cette ambition s’appuie sur une conviction forte : il ne s’agit pas seulement d’atteindre un volume d’actifs, mais de construire des entreprises performantes et pérennes. Notre objectif n’est pas la taille pour la taille, mais la création de valeur à long terme, fidèle à l’esprit entrepreneurial qui définit Otium depuis ses débuts.

Otium a récemment obtenu la notation BBB avec perspective stable d’Ethifinance. Quelle est la signification de cette reconnaissance ?

François DURVYE : Cette notation représente une étape importante dans la structuration d’Otium. Elle vient confirmer la solidité de notre modèle économique et la qualité de notre gestion financière, tout en reconnaissant notre capacité à poursuivre notre croissance dans un cadre rigoureux et durable.

La note BBB correspond à la catégorie dite investment grade, c’est-à-dire celle des émetteurs considérés comme fiables pour les investisseurs. En d’autres termes, cela signifie que notre profil de risque est maîtrisé, que notre modèle est jugé stable et que notre gouvernance inspire confiance. Cela nous place d’ailleurs au même niveau qu’un État comme l’Italie, selon les standards d’Ethifinance.

Cette reconnaissance nous permet d’accéder à des conditions de financement plus avantageuses, un atout précieux pour continuer à investir et à soutenir nos entreprises dans la durée. Aujourd’hui, notre niveau d’endettement reste limité, mais cette notation vient valider notre discipline financière et notre capacité à nous endetter de façon responsable si cela s’avère nécessaire.

Elle reflète aussi la maturité atteinte par Otium : après plus d’une décennie centrée sur la création et le développement d’entreprises, nous avons construit une structure solide, bien gouvernée et durablement positionnée pour atteindre notre ambition à 2030. Cette stabilité financière renforce notre crédibilité et nous donne encore plus de liberté pour investir là où nous estimons pouvoir créer le plus de valeur.

Quelles sont les ambitions d’Otium à court et moyen terme ?

François DURVYE : À court terme, notre priorité est de poursuivre la dynamique de création et de croissance que nous avons mise en place ces dernières années. Nous prévoyons de lancer chaque année 10 nouvelles entreprises via Otium Studio, dont environ la moitié aux États-Unis, ainsi que deux nouvelles plateformes de consolidation sectorielle dans des marchés où nous identifions un fort potentiel de structuration.

Sur le moyen terme, notre ambition reste d’atteindre 5 milliards d’euros d’actifs sous gestion d’ici 2030, tout en conservant ce qui fait notre singularité : un esprit entrepreneurial fort, une grande agilité décisionnelle et une indépendance totale dans nos choix d’investissement. Nous tenons à rester proches du terrain et à continuer d’accompagner des entrepreneurs passionnés ambitieux.

Nous savons que notre plus grand risque serait de perdre cette agilité et cette audace qui nous caractérisent. C’est pourquoi nous faisons tout pour préserver notre culture d’entrepreneurs, cette capacité à penser vite, à agir librement et à remettre en question nos certitudes. Notre objectif n’est pas seulement d’élargir notre portefeuille, mais de continuer à créer de la valeur durable, en restant fidèles à ce qui a toujours fait la force d’Otium : l’entrepreneuriat au cœur de l’investissement.

Avec son approche libre et entrepreneuriale, Otium s’impose comme un acteur à part dans le capital-investissement. En plaçant la création au cœur de sa stratégie, le groupe démontre qu’il est possible d’allier performance et vision de long terme. Otium poursuit un objectif clair : bâtir des entreprises solides, ambitieuses et durables, tout en préservant son indépendance d’esprit. Plus qu’un investisseur, Otium est un accélérateur d’idées et de croissance, au service des entrepreneurs qui façonnent l’économie de demain.