24/11/2025
12 minutes
Depuis plus de vingt ans, NCI s’impose comme un acteur majeur du capital investissement en France, avec une empreinte régionale forte et une approche singulière fondée sur la proximité, l’accompagnement actif et la création de valeur durable. Dans cet entretien, Yves, Directeur Associé Venture chez NCI, revient en détail sur l’histoire de la société, son ADN, ses méthodes d’investissement et ses ambitions pour les années à venir.
Yves GUIOL
Associé I Directeur Innovation chez NCI
Yves : À l’origine, NCI est avant tout une initiative publique régionale, née de la volonté de doter la Normandie d’un outil de financement en fonds propres capable de soutenir durablement son tissu économique local. À la fin des années 1990, les pouvoirs publics et les acteurs bancaires régionaux – principalement des caisses régionales – ont constaté un manque d’instruments adaptés pour accompagner la croissance et la transmission des PME locales.
C’est ainsi qu’en 2000, avec le soutien de la Région Normandie et de plusieurs établissements bancaires, NCI a vu le jour. À cette époque, la gestion de ce fonds régional avait été confiée à Siparex, un acteur lyonnais reconnu du capital investissement. Toutefois, dès 2005, une volonté d’indépendance s’est manifestée : les institutions normandes, soucieuses de maîtriser localement leurs décisions d’investissement et de rapprocher la gouvernance des entreprises accompagnées, ont souhaité reprendre la main.
Les actionnaires historiques – région, banques et caisses régionales – ont alors constitué une société de gestion autonome, toujours ancrée dans le territoire normand. Cette étape a permis à NCI de se détacher de Siparex et d’affirmer son identité propre.
L’histoire de NCI peut se lire en trois grandes phases :
– La première, de 2000 à 2005, durant laquelle les véhicules régionaux étaient gérés par Siparex, avec un positionnement centré sur le capital développement des PME.
– La deuxième, marquée par la sortie de Siparex et la montée en puissance des institutionnels normands – publics et privés – alors majoritaires au capital de la société de gestion, aux côtés des dirigeants de NCI.
– La troisième, amorcée en 2017, où les institutionnels sortent du capital au profit d’une indépendance totale de l’équipe de gestion.
Depuis cette date, NCI appartient à 100 % à ses cadres et dirigeants investisseurs.
Cette indépendance a permis à NCI d’élargir progressivement son champ d’action. Historiquement centrée sur le capital développement, la société a ensuite diversifié ses activités en 2005 avec un fonds de capital risque dédié aux startups normandes, puis en 2006 avec son premier fonds de transmission (LBO), baptisé « Reprendre et Développer ». Ce dernier a marqué le point de départ d’une lignée de fonds « RD » qui s’est imposée comme une référence.
Yves : J’ai repris la direction du capital risque en 2017, avec pour ambition de changer d’échelle et de structurer une stratégie différenciante dans un écosystème français déjà très compétitif. C’est dans ce contexte qu’est né Waterstart Capital, un fonds-accélérateur lancé début 2018 et dédié aux startups innovantes en fin d’amorçage et début de commercialisation.
Waterstart Capital a constitué un tournant dans la stratégie de NCI, avec un déploiement très majoritairement hors de la Normandie et un montant de 39M€ à comparer à la dizaine de M€ de nos 2 précédents fonds normands de capital risque.
Fort de cette expérience, nous avons ensuite lancé NCITY, notre véhicule de capital-risque actuel, en affirmant une approche sélective et engagée autour de trois grands piliers : l’énergie, la mobilité et l’immobilier/construction. Ces secteurs, fortement ancrés dans les territoires, répondent à la fois à des enjeux environnementaux et à des besoins économiques concrets. Ce fonds s’inscrit dans la continuité de Waterstart tout en élargissant son rayon d’action : il investit désormais à l’échelle nationale, tout en restant fidèle à notre philosophie territoriale et à notre logique d’accompagnement de proximité.
Notre positionnement est singulier. Sur les activités de transmission, NCI reste généraliste, investissant dans des PME de tout secteur sur sa zone d’ancrage du grand quart Nord-Ouest. En revanche, sur le capital risque, nous avons fait le choix inverse : restreindre le champ sectoriel mais élargir le périmètre géographique. Nous nous concentrons ainsi sur des startups dont les marchés et les chaînes de valeur sont profondément ancrés dans les territoires – là où nos partenaires institutionnels, banques et assureurs, et entrepreneurs, jouent déjà un rôle clé.
Cette cohérence entre nos thématiques d’investissement et le profil de nos LPs (limited partners) nous permet de générer des synergies opérationnelles fortes. Nos investisseurs, souvent acteurs majeurs de l’immobilier, de la construction ou de l’énergie, peuvent ainsi collaborer directement avec les startups de notre portefeuille. Cette logique de maillage crée de la valeur à double sens : pour les jeunes entreprises que nous finançons et pour les institutions qui participent à nos fonds.
Enfin, notre identité régionale constitue un véritable avantage compétitif. Nous revendiquons volontiers notre ancrage en dehors des grandes capitales mondiales : « Nous sommes les provinciaux du venture », dis-je souvent, non sans ironie. Cela traduit bien notre spécificité : faire du capital risque depuis Rouen, Lille, Rennes ou Lyon, avec des équipes proches des entrepreneurs. Ce modèle de venture décentralisé est au cœur de notre différenciation et fait de NCI un acteur unique du paysage français du capital innovation.
Yves : C’est effectivement un élément fondamental de notre ADN. NCI a été l’un des premiers fonds régionaux à créer un pôle d’accompagnement interne. J’ai d’ailleurs été recruté en 2010 pour initier cette démarche, bien avant que cela ne devienne une tendance du marché. L’idée était simple : apporter gratuitement du conseil stratégique et opérationnel à nos participations, et créer ainsi de la valeur à long terme.
Aujourd’hui, ce pôle compte quatre collaborateurs : trois dédiés à l’activité LBO et un à l’innovation. Leur mission est d’identifier les besoins spécifiques de chaque entreprise, qu’il s’agisse de business development, de recrutement, d’organisation, de croissance externe, ou encore de levée de fonds.
Nous organisons également des Founders Sessions chaque trimestre, réunissant les dirigeants de notre portefeuille autour de thématiques variées — relations publiques, structuration RH, performance commerciale, etc. Ces échanges favorisent un partage d’expérience et renforcent la cohésion au sein de notre écosystème.
Yves : Plusieurs entreprises incarnent la philosophie de NCI, tant par leur trajectoire que par la relation de confiance que nous avons su instaurer avec leurs équipes dirigeantes.
L’exemple de Poiscaille, société issue du fonds Waterstart Capital, illustre parfaitement notre démarche. Cette entreprise, spécialisée dans les paniers de la mer en circuit court, connecte directement les pêcheurs aux consommateurs via un modèle d’abonnement. Lorsque nous avons investi, elle réalisait à peine 1 million d’euros de chiffre d’affaires. Aujourd’hui, elle approche les 20 millions d’euros de chiffre d’affaires. Notre rôle a consisté à l’aider à se structurer : recrutement d’un directeur général, renforcement du board avec des profils experts, mise en place d’outils de pilotage adaptés à la croissance rapide. Nous avons par ailleurs effectué de nombreuses analyses de données pour comprendre la dynamique d’acquisition, comme nous l’avions fait dans l’entreprise Quitoque sur un modèle similaire, que nous avions accompagnée quelques années auparavant avant de la céder à Carrefour. C’est typiquement un cas où notre accompagnement stratégique a permis à l’entreprise de changer d’échelle sans perdre son identité.
Autre réussite : Obat, éditeur d’un logiciel de gestion dédié aux artisans du bâtiment. Dès notre entrée au capital, nous avons rapidement identifié un fort challenge humain et de gouvernance dans un contexte d’hyper croissance. Nous avons alors identifié la bonne personne pour accompagner les fondateurs dans la gestion humaine et personnelle de cette phase critique et dans la structuration et l’animation des board. L’entreprise s’impose désormais comme une référence dans son domaine avec le cap des 10M€ d’ARR qui vient d’être franchi.
Un volet important de notre accompagnement repose sur la recherche directe de financements en particulier en fonds propres, qui, lorsque l’entreprise en a besoin, constituent un sujet absolument critique de survie et de développement. Concrètement, nous passons un temps considérable à échanger avec nos confrères, tant en phase d’investissement qu’au cours de la vie de l’entreprise. Et les exemples ne manquent pas ! Nous sommes allés chercher l’investisseur lead du dernier tour de 36M€ d’Expliseat sans recours à une banque d’affaires, avons apporté un nouvel investisseur chez Exotrail, avons complété le tour de TH Groupe auprès de 3 nouveaux fonds, entièrement syndiqué la levée de seed de Scalinx auprès de 6 autres fonds, etc… Cet engagement direct démontre notre volonté de rester aux côtés des dirigeants à chaque étape de leur développement, y compris dans les opérations de financement complexes.
Nos interventions ne se limitent pas à la stratégie : elles touchent aussi la création de valeur opérationnelle et le développement commercial. Nous facilitons les connexions entre les startups et nos partenaires institutionnels ou corporate, et nous jouons souvent un rôle de catalyseur entre le monde entrepreneurial et les donneurs d’ordres régionaux ou nationaux. Sur les secteurs d’activité qui concentrent plusieurs startups de notre portefeuille, nous représentons alors pour elle une véritable force d’avant-vente mutualisée : nous suscitons l’intérêt de potentiels clients en leur faisant découvrir une multitude de solutions innovantes répondant à leurs besoins, avec un accès au top management. C’est le cas par exemple auprès des collectivités ou des bailleurs sociaux (adressés par Flatsy, Load Stations, TH Group…).
En 3 mots : on mouille la chemise, c’est la culture de l’équipe depuis l’origine et c’est ce que les dirigeants que nous accompagnons retiennent de nous. A titre personnel, c’est ce qui nous permet de nous sentir utiles au-delà des fonds que nous apportons.
Yves : L’impact occupe une place centrale dans notre démarche, aussi bien en capital risque qu’en capital transmission. Nous avons souhaité aller au-delà des engagements de principe en fixant des objectifs mesurables et concrets.
Notre fonds N-City, classé Article 8 selon la réglementation SFDR, intègre par exemple un indicateur précis : la réduction des émissions de CO₂, exprimée en tonnes évitées, permise par les innovations de notre portefeuille. Une partie du carried interest de l’équipe est directement indexée sur cet objectif, afin d’aligner performance financière et impact environnemental réel.
Cette approche pragmatique illustre notre volonté de passer d’une logique de moyens à une logique de résultats. Nous privilégions les entreprises capables de démontrer leur contribution à la décarbonation de secteurs à forte empreinte — construction, mobilité, énergie. Ces choix reflètent notre ADN industriel : nous investissons dans des solutions matérielles et concrètes, qui participent à la transformation durable des territoires.
Notre ambition pour les prochaines années est d’aller encore plus loin avec NCITY 2, en renforçant les critères d’impact et en approfondissant la mesure des résultats environnementaux. Dans un monde où les labels se multiplient, nous voulons que nos engagements se traduisent par des effets tangibles et mesurables sur le terrain.
Yves : Nos investisseurs forment un ensemble équilibré entre institutionnels, banques, assureurs et entrepreneurs issus de nos territoires. Sur la partie venture, nous comptons notamment le fonds French Tech Accélération de Bpifrance, des caisses régionales et plusieurs acteurs du secteur de la construction, de l’immobilier et de l’énergie. Ces derniers trouvent dans notre stratégie thématique — centrée sur la ville de demain — un prolongement naturel de leurs propres activités.
Sur la transmission, le profil est plus diversifié : grands institutionnels nationaux, compagnies d’assurance et chefs d’entreprise régionaux. Tous partagent le même attachement à l’économie réelle et à la proximité avec les dirigeants.
Nous entretenons avec eux une relation continue et directe, fondée sur la confiance. Une réunion annuelle d’information permet de présenter les performances et perspectives, mais l’essentiel du lien se tisse au fil des échanges individuels. Avec certains LPs, notamment les plus sectoriels, nous collaborons très en amont sur les dossiers d’investissement.
C’est par exemple le cas de Technologie & Habitat (TH Group), spécialiste de la construction modulaire bois, identifié grâce à un de nos investisseurs, le Groupe Lhotellier, qui a ensuite co-investi à nos côtés. Ce type de synergie illustre notre approche : nos LPs ne sont pas seulement des financeurs, mais de véritables partenaires de réflexion et d’action.
Yves : Notre approche repose avant tout sur la proximité et la présence terrain. Le fait d’être implantés dans plusieurs régions nous permet d’entretenir un contact direct et régulier avec les écosystèmes locaux (incubateurs, clusters, acteurs publics et privés…) ce qui alimente naturellement notre dealflow.
Nous participons à de nombreux événements sectoriels liés à nos thématiques d’investissement, notamment dans les domaines de la construction, de la mobilité ou de l’énergie. Cette présence physique reste pour nous la méthode la plus efficace pour identifier les startups prometteuses et maintenir une compréhension fine des enjeux du marché.
Nous avons également recours à des outils numériques et à l’intelligence artificielle pour renforcer ce travail. L’IA nous aide à repérer des startups encore peu visibles sur certaines verticales spécifiques (par exemple la rénovation énergétique) et à enrichir nos analyses de marché. Nous l’utilisons aussi en phase d’évaluation, afin de comparer les business models, d’établir des benchmarks et de détecter des alternatives concurrentielles à l’international.
Cela reste toutefois un complément à notre travail de terrain. Chez NCI, la technologie soutient l’humain : elle nous permet d’aller plus vite et plus loin dans la compréhension des projets, mais c’est notre proximité avec les dirigeants et notre lecture du contexte local qui font la différence.
Yves : À court terme, notre priorité est le lancement d’un fonds de dette, une nouvelle activité pour NCI. Ce véhicule a pour objectif d’apporter une solution régionale aux entreprises en phase de transmission, sur un segment aujourd’hui largement dominé par les acteurs parisiens. L’idée est d’offrir aux dirigeants de nos territoires une alternative locale, réactive et complémentaire des fonds de capital.
À moyen terme, nous souhaitons consolider notre position sur le capital risque. Le marché du venture est devenu exigeant et sélectif, mais nous avons trouvé un modèle solide avec le fonds NCITY, centré sur la ville de demain. Notre ambition est de lancer NCITY 2 d’ici deux ans, afin d’assurer la continuité des investissements et de capitaliser sur les succès du premier millésime.
Plus globalement, notre objectif est de pérenniser un modèle robuste, fidèle à notre ADN : investir dans les territoires, délivrer des performances régulières et préserver la confiance de nos investisseurs. Nous privilégions la croissance maîtrisée à l’expansion rapide, avec la conviction que la qualité du suivi, la proximité avec les dirigeants et la constance dans nos résultats sont les véritables leviers de long terme.
En plaçant la ville de demain au cœur de sa stratégie, NCI s’affirme comme un investisseur engagé dans la transformation concrète des territoires. Son ambition : soutenir les entreprises qui repensent la manière de construire, d’habiter et de se déplacer. Fidèle à son ancrage régional, le groupe mise sur l’innovation utile, celle qui concilie performance économique et impact environnemental. À travers cette vision, NCI investit dans les acteurs qui façonnent dès aujourd’hui la ville durable de demain.