24/06/2025
11 minutes
Dans l’univers du capital-risque, certains misent sur la quantité, d’autres sur la qualité. C’est clairement dans la seconde catégorie que se situe welovefounders, un fonds early-stage basé en Belgique, cofondé par Olivier Tabery, Olivier Mertens, Antoine Duchateau et Thomas Goubau. Leur pari ? Un portefeuille resserré, des tickets significatifs, et un accompagnement intensif pour chaque startup, exclusivement dans le B2B SaaS. Rencontre avec Olivier Tabery & Olivier Mertens, pour comprendre ce qui se cache derrière ce positionnement singulier.
Olivier TABERY & Olivier MERTENS
Founding Partner & Founding Partner
Olivier Mertens : Nous avons tous les quatre une double expérience d’entrepreneurs et pour certains, d’investisseurs. C’est cette position hybride qui nous a permis de voir ce qui dysfonctionnait souvent dans les premiers tours de table. En pre-seed, de nombreuses startups sont sous-financées, ce qui les force à recruter des profils juniors et à aller trop vite vers des KPIs de revenus, au lieu de se concentrer d’abord sur l’usage et la rétention. Cela crée une perte de valeur considérable. En tant qu’entrepreneurs, on sait que chaque étape compte, et que brûler les étapes peut coûter très cher. Notre volonté avec welovefounders, c’est de soutenir les fondateurs de façon structurante, sans jamais prendre leur place. On est là pour créer les conditions d’une croissance saine.
Olivier Tabery : Le terme « hands-on » est souvent galvaudé. Beaucoup de fonds l’utilisent, mais peu le pratiquent vraiment. Chez welovefounders, cela veut dire une présence réelle, concrète, hebdomadaire. Dans notre vision, l’investissement est un partenariat profond. Cela suppose un vrai accord avec les fondateurs : si on entre au capital, c’est pour s’impliquer fortement. Certains fondateurs veulent rester indépendants et ne pas être accompagnés de si près. On respecte cela, mais ce n’est pas notre mode de fonctionnement. Nous, on veut être présents dans les moments faciles comme dans les moments critiques.
Olivier Tabery : On aimerait pouvoir objectiver ce fit, le réduire à des métriques. Mais la réalité, c’est que c’est profondément humain. On a chacun parlé à des milliers d’entrepreneurs au fil des années, investi dans près de 70 startups, déployé presque 100 millions d’euros avant même de créer welovefounders. On a appris à reconnaître, souvent assez rapidement, si la relation va fonctionner ou non. C’est une question d’intuition, nourrie par l’expérience.
Olivier Mertens : Ce “founder-investor fit” est au cœur de notre processus. Dès la due diligence, on initie une forme de collaboration. On passe une journée complète avec les fondateurs, en workshop. Ce n’est pas une évaluation classique, c’est une session de travail. Ça nous permet de tester la dynamique, de voir comment on interagit ensemble. Et souvent, cette journée suffit à sentir si la collaboration peut être fructueuse ou non. C’est très différenciant par rapport aux pratiques du marché.
Olivier Mertens : On a naturellement choisi le B2B SaaS parce que c’est ce qu’on connaît le mieux. C’est dans ce secteur qu’on a évolué depuis plus de 15 ans, en tant qu’entrepreneurs puis investisseurs. L’un de nos partenaires a même cofondé un leader mondial dans le logiciel fintech. On a investi dans de nombreuses entreprises tech, notamment dans la data et l’IA, et c’est un terrain sur lequel on est à l’aise. Ce n’est pas juste une préférence : c’est une expertise que l’on met au service des startups.
En plus de cette affinité, le modèle SaaS présente des caractéristiques qu’on apprécie particulièrement : la récurrence des revenus, une certaine prévisibilité dans la croissance, et surtout une vraie maturité en matière de sorties. Aujourd’hui, les fonds de Private Equity s’y intéressent de plus en plus tôt, ce qui élargit les opportunités d’exit. Cela nous permet de réfléchir à la trajectoire de la startup dès le départ, en intégrant dès le début des scénarios de liquidité crédibles et réalistes.
Olivier Tabery : Et puis, pour être très concrets, les startups qu’on a créées et accompagnées sont elles-mêmes dans le B2B SaaS. On connaît intimement les mécaniques de croissance, les écueils à éviter, les leviers à activer. C’est essentiel, car notre promesse, c’est d’apporter un accompagnement très opérationnel. Si on intervenait dans des modèles qu’on ne maîtrise pas — comme le hardware, le retail ou la biotech — on serait beaucoup moins pertinents.
Enfin, même si chaque startup est unique, il y a dans le SaaS des patterns qu’on reconnaît et qu’on peut anticiper. Ça nous permet d’intervenir rapidement, efficacement, et d’aider les équipes à éviter les erreurs qu’on a vues des dizaines de fois. C’est un alignement naturel entre ce qu’on sait faire, ce qu’on aime faire et ce dont les startups ont besoin.
Olivier Tabery : Dans le venture capital, la norme, c’est souvent de jouer la loi des grands nombres : on fait beaucoup de petits tickets, dans beaucoup de startups, en espérant que quelques-unes tireront le rendement du portefeuille. Nous, on a fait le pari inverse. On pense qu’en étant très présents et structurants, on peut réduire le taux d’échec — ce fameux “taux de déchet” du portefeuille. Mais pour que ça fonctionne, il faut du temps, de la disponibilité, et ça ne s’étire pas à l’infini. On est une petite équipe, on n’a que 24 heures dans une journée. Donc on a choisi de rester concentrés : quinze startups, pas plus.
Aujourd’hui nous avons 6 startups en portefeuille. Un tiers en France, une aux États-Unis (avec un centre opérationnel en Belgique), le reste en Belgique. L’idée, c’est de rester relativement proche géographiquement, pour préserver cette proximité qui fait notre force.
On met aussi des tickets assez significatifs dès le pre-seed et le seed. L’idée, c’est d’avoir un vrai poids au capital et donc une vraie légitimité dans l’accompagnement. Ça nous permet d’aligner l’ambition opérationnelle avec les moyens financiers qu’on déploie. On n’est pas là juste pour suivre, on est là pour construire.
Olivier Mertens : Concrètement, ça veut dire quoi ? On ne fait pas un board tous les trois mois comme la plupart des fonds. On fait un board toutes les six semaines. Et ce ne sont pas des sessions de reporting : ce sont des réunions de travail, où on se concentre sur un ou deux sujets clés, très concrets, que vit la startup. On réfléchit ensemble, on cherche des solutions. C’est une dynamique très proche du startup studio, mais sans enlever la main aux fondateurs. On accompagne sur le recrutement, on conseille sur les outils à implémenter, on instaure KPIs et OKRs, tant d’éléments qui nous permettent de rester au contact constant de la startup.
En plus, on a un operating partner dédié, qui est là pour bosser avec les équipes sur le product-market fit, le go-to-market, l’excellence opérationnelle. Il est en contact toutes les semaines avec chaque startup. Et si besoin, on active un réseau d’experts sectoriels ou fonctionnels pour traiter des points très spécifiques. Ce modèle, on l’a testé, et on sait qu’il fonctionne.
Olivier Mertens : Un bon exemple, c’est Peliqan, une startup basée à Gand (Belgique) qu’on a rejointe récemment. Elle est portée par deux fondateurs expérimentés, qui avaient déjà entrepris auparavant. Leur solution est très alignée avec notre thèse : elle permet de se connecter à différents logiciels pour collecter, nettoyer et structurer la donnée dans un data warehouse. Cette donnée peut ensuite être utilisée pour du reporting BI, pour entraîner des modèles d’IA ou encore pour migrer des données d’un système à un autre.
Quand on les a rencontrés, ils avaient huit term sheets sur la table. Mais ce qui a fait la différence, c’est notre approche. On a organisé notre fameux workshop d’une journée avec eux, ce qui nous a permis de commencer à travailler ensemble, pour de vrai. Et ça a matché. De notre côté, on a été convaincus. Et eux aussi, à tel point qu’on leur a envoyé une term sheet pendant qu’ils rentraient chez eux, le soir même du workshop. On a su montrer qu’on allait s’engager, pas juste injecter de l’argent.
Olivier Tabery : On a également investi dans Clovis, un startup qui simplifie la gestion de chantier. L’un de nos partenaires, Thomas Goubeau, connaît très bien ce marché, puisqu’il a lancé il y a dix ans une entreprise qui traitait déjà des problématiques similaires. Il y a donc un vrai effet miroir et une expérience transmise de manière directe. On connaît le secteur, les erreurs à éviter, les leviers à activer. C’est typiquement une situation où notre approche hands-on fait une vraie différence, parce qu’on sait précisément où se trouvent les nœuds de croissance.
Et puis il y a MinersAI, une startup plus atypique, qui applique l’IA à l’industrie minière. L’objectif est d’aider les sociétés à mieux localiser les ressources à extraire, pour réduire l’impact environnemental des forages. Ce n’est pas un secteur grand public, mais c’est une industrie gigantesque, cruciale pour l’économie, avec très peu d’acteurs technologiques aujourd’hui. Ce type de niche nous intéresse énormément : quand on peut combiner technologie, utilité et expertise métier, on est au bon endroit.
Ce qui nous a séduits dans ces dossiers, au-delà de la technologie, c’est l’alignement avec notre expertise, notre capacité à comprendre les enjeux métiers, et surtout la qualité de la relation qu’on a construite très tôt avec les fondateurs.
Olivier Tabery : Depuis ce premier closing, on a continué à lever, malgré un contexte franchement compliqué. On est aujourd’hui à 25 millions d’euros, et on estime que c’est un très bon niveau pour exécuter notre stratégie. On pourrait continuer à pousser vers les 35 millions, mais dans les faits, le marché des LPs est aujourd’hui sous tension.
Depuis quelques années, beaucoup d’argent a été injecté dans les fonds de venture capital, mais très peu a été restitué. Les valorisations de certaines startups se sont effondrées, et les fonds n’ont pas généré les retours attendus. Résultat : les LPs sont prudents, ils attendent de voir des liquidités avant de réinvestir. On s’est donc retrouvés dans cette dynamique, comme beaucoup d’autres acteurs.
Cela dit, lever 25 millions dans un tel climat, c’est déjà une réussite en soi. Ce montant nous permet de faire des tickets significatifs, de bâtir un portefeuille cohérent, et surtout de démontrer la valeur de notre modèle. L’objectif, c’est d’en faire la meilleure preuve possible pour préparer sereinement un fonds II.
Olivier Mertens : Ce sont exclusivement des investisseurs privés. Et ce choix est tout sauf anodin. On voulait construire une communauté d’entrepreneurs autour du fonds, des gens qui comprennent les réalités du terrain et qui peuvent, au besoin, apporter de la valeur aux startups du portefeuille.
Nos LPs sont tous des fondateurs ou ex-CEO d’entreprises à succès, dans des secteurs industriels ou technologiques. Ils n’investissent pas seulement leur argent, ils sont prêts à s’impliquer ponctuellement auprès des startups, à répondre à une question, à faire une mise en relation, à partager une expérience. On a aujourd’hui une quarantaine de ces investisseurs dans notre communauté. Et cette logique communautaire, on l’entretient activement : on organise des rencontres entre eux et les fondateurs, on favorise les échanges directs. C’est une ressource précieuse, et nos startups le sentent.
Olivier Tabery : Sur la partie sourcing, on reste très ancrés dans le relationnel. C’est essentiel. Être visible dans l’écosystème, participer aux bons événements, parler avec d’autres investisseurs, garder le lien avec les entrepreneurs : c’est comme ça qu’on détecte les bons signaux faibles. Et souvent, ces signaux ne disent pas encore “je lève”, mais ils indiquent qu’un projet intéressant est en train de naître. C’est à ce moment-là qu’on cherche à capter. On essaie par ailleurs d’automatiser au maximum cet “intent signaling” pour trouver les bonnes boîtes avant les autres.
Ensuite, sur la gestion interne du fonds, on a fait le choix d’outils simples mais puissants. On utilise Notion, que ce soit pour gérer notre dealflow, suivre les startups, ou structurer nos échanges internes. On l’a adapté à nos besoins très spécifiques, et il nous permet d’avoir une vision claire et centralisée.
Enfin, on intègre progressivement des briques d’intelligence artificielle dans nos analyses. Pas pour remplacer l’intuition ou l’expérience, mais pour accélérer certains traitements, faire émerger des insights ou automatiser une partie du reporting. C’est un levier de productivité, et aussi une aide à la décision, notamment dans l’analyse des marchés ou des comportements utilisateurs. Ça ne remplace pas notre jugement, mais ça l’affine.
Olivier Mertens : L’objectif numéro un, c’est de prouver que notre modèle fonctionne. On veut montrer qu’un accompagnement intensif, sur un portefeuille limité, peut produire des startups plus solides, plus performantes, et avec moins de casse. Ce n’est pas encore la norme dans le VC, mais on pense que ça peut le devenir.
À court terme, on veut tirer le meilleur de ce premier fonds. On a encore quelques lignes à déployer, et on veut prendre le temps de bien les choisir. Et puis, dans trois ans, si on a bien travaillé, on lancera un deuxième fonds, probablement d’une taille un peu plus importante, mais toujours avec la même philosophie.
On ne cherche pas à grossir pour grossir. Le but n’est pas de gérer 200 millions d’euros. Le but, c’est de rester pertinents, engagés, efficaces. On va rester sur notre vertical B2B SaaS, qui est notre cœur de compétence. On est agnostiques sur les sous-secteurs, mais très exigeants sur notre capacité à vraiment aider. Si on garde cette ligne, on est convaincus qu’on pourra créer un fonds durable, avec une vraie identité, et reconnu pour sa valeur ajoutée.
Dans un monde du venture capital souvent guidé par la rapidité, la croissance à tout prix et la dilution des relations humaines, welovefounders trace une voie différente, plus exigeante mais aussi plus engagée. En misant sur un portefeuille resserré, une expertise sectorielle affirmée et une implication quotidienne auprès des fondateurs, le fonds belge propose une nouvelle manière de faire du capital-risque : plus proche, plus responsable, plus artisanale presque — sans jamais perdre de vue l’ambition.
Leur pari est clair : prouver qu’un modèle “moins mais mieux” peut non seulement fonctionner, mais surperformer dans la durée. Si les résultats suivent, welovefounders pourrait bien inspirer une nouvelle génération de fonds européens, en quête de sens autant que de performance.