02/12/2025
19 minutes
Aux côtés des entreprises du Grand Sud-Ouest depuis plus de quatre décennies, IRDI Capital Investissement s’est imposé comme un acteur incontournable du capital-investissement régional. Son histoire, profondément liée à celle des territoires, se distingue par une proximité assumée, une connaissance fine des écosystèmes locaux et une vision patiente et structurante du financement des PME et ETI. Dans cet entretien, Corinne d’Agrain, CEO d’IRDI Capital Investissement, revient sur les origines du groupe, sa mission, son organisation, ses investissements emblématiques, ainsi que sur sa lecture du marché actuel.
Corinne d’Agrain
Présidente du Directoire chez IRDI Capital Investissement
Corinne D’AGRAIN : La création d’IRDI Capital Investissement remonte à 1981, dans un contexte très particulier : celui de la mise en place des régions et des établissements publics régionaux dans les années 70. Plusieurs personnalités visionnaires ont alors voulu doter les territoires d’un outil économique durable, capable d’accompagner les PME et ETI locales. Parmi elles, Alain Savary, alors président du conseil régional de Midi-Pyrénées, Evelyne Baylet – figure fondatrice de La Dépêche du Midi – ou encore Alain Rousset, aujourd’hui président de la région Nouvelle-Aquitaine. Leur ambition : soutenir le développement économique régional par un outil d’investissement de proximité.
Les premiers fonds provenaient de dotations régionales et de la CDC qui deviendra Bpifrance. Dès le départ, il a été décidé que les comités d’investissement intégreraient des industriels régionaux, afin que l’outil soit parfaitement aligné sur les besoins réels du territoire. Cette volonté d’associer étroitement acteurs publics et acteurs industriels a profondément influencé l’ADN de IRDI. L’objectif n’était pas seulement d’apporter du capital, mais d’inscrire l’investissement dans une dynamique collective, partagée et de long terme.
Cet ADN – la proximité, la compréhension du tissu économique et l’accompagnement patient – demeure le cœur du projet plus de quarante ans plus tard. L’outil, qui était très modeste à sa création, s’est progressivement structuré autour d’une mission inchangée : contribuer au développement économique durable du Grand Sud-Ouest en soutenant les entreprises qui en façonnent la vitalité.
Corinne D’AGRAIN : La proximité est au cœur de notre identité. Être présents dans les territoires nous permet de comprendre leurs enjeux, d’identifier les besoins réels des entreprises et de suivre l’évolution du tissu économique au quotidien. Nous connaissons les PME comme les ETI, mais aussi l’écosystème dans lequel elles évoluent : les acteurs de la recherche, les pôles de compétitivité, les organisations industrielles comme l’Union des Industries et Métiers de la Métallurgie (UIMM) ou encore les syndicats patronaux tels que le MEDEF ou la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). Cette immersion nous aide à anticiper les mouvements de filière et les dynamiques sectorielles.
Notre présence à Bordeaux, Toulouse et Montpellier nous permet de couvrir deux régions et d’assurer un continuum de financement cohérent. Nous accompagnons les entreprises dès l’amorçage, puis au stade du capital-risque, avant de poursuivre avec des fonds dédiés aux petites PME, puis au capital-développement et à la transmission pour les entreprises plus matures. Cette capacité à intervenir à chaque étape crée un suivi durable et permet d’adapter nos outils aux besoins réels des dirigeants. Cela évite aussi les ruptures dans les parcours de financement.
Cette approche territoriale nous conduit naturellement vers les grandes filières économiques de nos régions : l’industrie, l’aéronautique et la défense, l’agroalimentaire, la santé, le digital ou encore les énergies renouvelables. Ce sont des filières structurantes, porteuses d’emploi et d’avenir. En étant présents sur le terrain, nous comprenons mieux les leviers de croissance propres à chaque secteur et pouvons accompagner les dirigeants avec une vision fine de leur environnement. Cela renforce la pertinence de nos décisions d’investissement et la qualité de l’accompagnement sur la durée.
Corinne D’AGRAIN : Nous avons fait le choix d’une organisation très structurée, avec des équipes dédiées à chaque stade de développement des entreprises. Il existe une équipe pour l’amorçage, une pour le capital-risque, une pour les petites PME, une pour le rebond, et une pour le capital-développement et la transmission. Chaque fonds dispose de ses propres souscripteurs et de ses propres objectifs, ce qui garantit un haut niveau de professionnalisme et d’expertise. Cette spécialisation nous permet de traiter chaque dossier avec une réelle maîtrise des enjeux propres à son stade de maturité.
À cette logique de métiers s’ajoute une organisation matricielle. Les directeurs d’investissement développent chacun une expertise sectorielle : certains se concentrent sur l’agroalimentaire, d’autres sur l’aéronautique et la défense, la santé, le digital, les biotech, les medtech ou encore les énergies renouvelables. Cela crée une véritable dynamique interne. Nous partageons nos connaissances entre bureaux et entre équipes, ce qui enrichit les analyses et permet d’être plus pertinents dans nos décisions.
Nous accompagnons environ 200 entreprises, ce qui représente un socle d’expérience considérable. Cette profondeur d’historique nous donne une compréhension très fine des trajectoires possibles et des difficultés que les dirigeants peuvent rencontrer. Nous favorisons aussi les interactions entre nos participations : par exemple, une entreprise industrielle mature peut collaborer avec une jeune société innovante dans la même filière, ou bénéficier du regard d’un de nos partenaires stratégiques comme Airbus, Total, EDF ou le groupe Pierre Fabre. Ces mises en relation créent de véritables effets de levier.
Enfin, nous échangeons régulièrement avec les régions et nos partenaires institutionnels pour aligner nos actions sur les priorités territoriales. Cette combinaison entre spécialisation métier, expertise sectorielle, proximité et mise en réseau constitue l’un des atouts majeurs de notre organisation. Elle nous permet d’être plus efficaces et plus utiles aux entreprises que nous accompagnons.
Corinne D’AGRAIN : Je rappelle toujours que ce ne sont pas les investisseurs qui font la réussite d’une entreprise, mais les dirigeants. Nous sommes là en appui. Cela dit, certains parcours montrent bien la manière dont nous travaillons. L’un des exemples les plus marquants est celui d’Accès Industrie, un acteur spécialisé dans les nacelles élévatrices. Nous l’accompagnons depuis plus de vingt ans. L’entreprise a connu des périodes très difficiles, suivies de phases de forte croissance, et nous sommes restés à ses côtés dans chacune de ces étapes. Aujourd’hui, elle mène une stratégie de build-up très dynamique, soutenue par une équipe de direction particulièrement solide. Notre rôle a été de l’accompagner dans cette transformation sur le long terme.
Un autre exemple est Quinoak, dirigé par Thomas Breuzet. Il développe des produits laitiers responsables avec une forte orientation bio, notamment à travers les marques Péchalou et Baskalia. Il mène lui aussi une stratégie de build-up ambitieuse, qui permet à des marques locales de se renforcer et de mieux se positionner sur leur marché. Nous soutenons cette démarche, car elle illustre parfaitement la manière dont une PME peut grandir tout en préservant ses valeurs et son ancrage territorial.
Nous avons également accompagné Diace (groupe MH Industries), une fonderie située dans le Lot, un secteur industriel exigeant et souvent perçu comme risqué. Grâce à un travail profond mené par son dirigeant Matthieu HEDE, l’entreprise a retrouvé une trajectoire solide et a réalisé un build-up réussi. Ce type d’opération montre que, même dans des secteurs complexes, des entreprises peuvent être performantes et se projeter sur le long terme.
Nous sommes aussi actionnaires d’acteurs industriels d’envergure stratégique comme Sphérea, issue d’un spin-off d’Airbus Defence and Space. L’entreprise développe des solutions essentielles pour des secteurs sensibles. Ce sont des exemples d’entreprises qui dépassent leur périmètre initial et contribuent à renforcer la souveraineté industrielle de nos territoires.
Ces parcours montrent combien l’accompagnement long terme, la compréhension sectorielle et l’ancrage territorial peuvent contribuer à soutenir des entreprises dans des phases clés de leur développement.
Corinne D’AGRAIN : Cet exercice a été particulièrement dynamique pour nous, alors même que le contexte général de l’investissement reste plutôt morose. Les entreprises du territoire ont fait preuve d’une réelle résilience : elles continuent à se développer, à porter des projets ambitieux et à se projeter malgré un environnement marqué par une succession de crises. Chaque année, je m’interroge sur la difficulté de l’exercice à venir, et chaque année, les entreprises démontrent une capacité remarquable à avancer et à saisir les opportunités.
Ce dynamisme s’appuie aussi sur la vitalité des deux régions dans lesquelles nous intervenons, Occitanie et Nouvelle-Aquitaine. Elles comptent parmi les plus attractives et les plus entreprenantes de France, avec des écosystèmes très structurés et capables de travailler ensemble. Cette cohérence régionale favorise l’émergence de projets solides et renforce la confiance des dirigeants dans leur capacité à croître.
Enfin, notre ADN public-privé joue un rôle important. Nous avons bâti au fil des années une relation de confiance avec les entrepreneurs, fondée sur la proximité, la patience et la stabilité. Ces valeurs, associées à un ancrage territorial très fort, permettent un dialogue fluide et un accompagnement durable. L’ensemble de ces facteurs explique la très bonne performance de cet exercice.
Corinne D’AGRAIN : Notre boussole reste la création et le maintien de l’emploi dans les territoires. C’est un engagement affirmé et revendiqué. Nous nous orientons vers des entreprises qui disposent d’un véritable potentiel de développement, que ce soit grâce à un marché porteur ou à des possibilités de consolidation sectorielle. Nous cherchons des projets capables de créer de la valeur durablement au sein de nos régions.
Au-delà de l’analyse économique, l’équipe dirigeante est un élément déterminant. L’investissement repose toujours sur une rencontre : un projet entrepreneurial d’un côté, une équipe d’investisseurs de l’autre. Nous restons minoritaires dans les entreprises que nous accompagnons ; ce sont les dirigeants qui conduisent la trajectoire. Notre rôle est de nous assurer que leur vision, leur capacité d’exécution et leur compréhension de leur marché permettent de créer les conditions d’un développement solide.
Nous accordons une grande importance à la cohérence entre l’ambition du projet et les moyens mis en place pour le réaliser. Grâce à notre ancrage territorial et à notre connaissance des filières, nous bénéficions d’un regard informé sur les dynamiques sectorielles. Cela nous aide à apprécier si une équipe est en adéquation avec les enjeux de son marché et si elle peut s’inscrire dans une logique de croissance durable. Cette approche, très ancrée dans la réalité du terrain, guide l’ensemble de nos décisions.
Corinne D’AGRAIN : Nous avons pris position très tôt sur les sujets ESG, bien avant que ces thématiques ne deviennent centrales dans le capital-investissement. Cette démarche a été initiée grâce à une rencontre décisive avec William Vidal, fondateur d’Ecocert, une entreprise emblématique du territoire et acteur mondial de la certification bio. Nous avons immédiatement partagé une conviction commune autour d’un enjeu essentiel : celui du bien commun. Cette discussion a été déterminante dans la structuration de notre réflexion.
À la même période, Ecocert a noué un partenariat avec la société Des Enjeux et des Hommes, spécialisée dans l’accompagnement ESG. Nous avons travaillé avec eux pour développer notre propre référentiel, que nous avons mis en œuvre très rapidement. Depuis, nous poursuivons une démarche d’amélioration continue : nous nous sommes récemment équipés de Reporting21 et avons renforcé nos processus de suivi et d’analyse extra-financière.
Au-delà des outils, nous nous attachons à engager des actions concrètes, notamment sur le « S » de ESG, souvent moins visible mais pourtant fondamental. Nous sommes par exemple très fiers d’avoir contribué à la création d’un fonds de dotation interentreprises, « Le Cœur des entreprises », qui soutient des associations œuvrant contre la précarité et la pauvreté. Ce type d’initiative incarne pleinement notre volonté d’agir de manière utile et responsable sur nos territoires.
L’ESG n’est donc pas une formalité pour nous : c’est une dimension structurante de notre manière d’investir et d’accompagner les entreprises.
Corinne D’AGRAIN : Le capital-investissement régional a cette particularité d’entretenir des relations très étroites avec ses partenaires. Nous échangeons régulièrement avec nos principaux souscripteurs et veillons à les intégrer autant que possible dans nos réflexions stratégiques, nos processus de levée de fonds et nos comités d’investissement. Cette implication leur permet d’être au plus près des entreprises que nous accompagnons et de comprendre les dynamiques économiques du territoire. L’objectif est de créer une forme de cercle vertueux autour du développement des sociétés de notre portefeuille.
Nos partenaires sont variés : des acteurs institutionnels comme les régions Occitanie et Nouvelle Aquitaine, les métropoles de Bordeaux, Montpellier et Toulouse, la BEI et BPI mais aussi les banques régionales, des industriels et des entrepreneurs expérimentés. Dans les secteurs où des enjeux spécifiques se présentent, nous sollicitons leur expertise lorsque les entreprises sont d’accord. Par exemple, sur des sujets liés à la santé, nous pouvons échanger avec le Groupe Pierre Fabre ; sur des sujets liés à l’aéronautique, nous pouvons bénéficier de l’expérience de représentants d’Airbus, dont certains siègent à notre conseil d’administration. Leur regard apporte une valeur ajoutée essentielle, tout en restant dans un cadre strict de confidentialité.
Nous travaillons également avec des personnalités du territoire, d’anciens dirigeants ou fondateurs d’entreprises, notamment dans le digital à Montpellier, qui souhaitent à leur tour contribuer à l’écosystème. Ils apportent leur expérience, leur réseau et une compréhension fine des besoins des entrepreneurs. Cette diversité d’expertises nourrit nos décisions d’investissement et renforce la pertinence de notre accompagnement.
Cette relation de proximité et de confiance avec nos souscripteurs est précieuse : elle nous permet de rester alignés sur les enjeux du territoire et de construire une dynamique collective au service des entreprises.
Corinne D’AGRAIN : Nous observons effectivement l’arrivée de fonds nationaux, et en particulier de fonds sectoriels, sur nos territoires. C’est une évolution qui ne nous inquiète pas, car elle peut être très positive pour les entreprises. Lorsque plusieurs acteurs interviennent autour d’une même table, chacun avec son expertise et ses moyens, cela crée un tour de table plus riche, plus complémentaire et souvent plus solide. Les entreprises bénéficient ainsi de points de vue variés et d’un accès élargi à des ressources stratégiques.
Il existe bien sûr des opérations de grande taille que nous ne pouvons pas accompagner au niveau des tickets envisagés. Dans ces cas-là, la présence d’acteurs plus importants est logique et même nécessaire. Travailler aux côtés de grands fonds permet aussi de tirer parti de leur expérience sur des sujets plus complexes ou internationaux, tout en conservant notre connaissance fine du terrain.
Dans l’ensemble, nous ne vivons donc pas cette évolution comme une concurrence directe, mais plutôt comme une complémentarité. Notre force réside dans notre ancrage territorial, notre proximité avec l’écosystème et notre capacité à intervenir sur des segments que les grands fonds ne couvrent pas ou peu. Cette combinaison crée un équilibre naturel qui fonctionne bien pour les entreprises de nos régions.
Corinne D’AGRAIN : Nous restons avant tout très présents sur le terrain. Le sourcing passe d’abord par nos déplacements, nos rencontres dans les territoires, les salons professionnels et les échanges réguliers avec les acteurs économiques locaux. Cette présence physique est essentielle, car elle nous permet de capter des signaux faibles et d’identifier des projets à un stade très précoce. C’est l’un des avantages de notre ancrage régional : nous voyons émerger les initiatives directement là où elles naissent.
Nous nous appuyons également sur un dealflow propriétaire très important, nourri par notre réseau historique d’entrepreneurs, d’institutionnels, de partenaires industriels et de collectivités. Cela constitue une source de projets particulièrement riche et qualitative. C’est une force que nous avons construite au fil du temps et qui fait partie intégrante de notre identité.
Sur le plan technologique, nous venons de finaliser la migration vers CV4, un outil qui structure nos reportings et facilite le suivi de nos participations. Nous utilisons aussi Reporting21 pour le volet ESG. Ces solutions renforcent la qualité de nos analyses et de nos processus internes. Concernant l’intelligence artificielle, nous avons lancé un groupe de travail en interne. Pour l’instant, nous avançons prudemment, car les exigences réglementaires, en particulier celles de l’AMF, et les enjeux de confidentialité sont très élevés. L’objectif est d’intégrer ces technologies à terme, mais de manière professionnelle, maîtrisée et pleinement conforme.
Corinne D’AGRAIN : Notre priorité est de poursuivre l’investissement de nos véhicules actuels et de préparer leur renouvellement. C’est un travail essentiel, car nous constatons que les opérations sont de plus en plus significatives et nécessitent des capacités d’intervention renforcées. Idéalement, nous souhaitons donc disposer de fonds de taille plus importante pour accompagner ces évolutions et continuer à répondre efficacement aux besoins des entreprises du territoire.
Sur le plan stratégique, nous réfléchissons également à notre rôle dans le financement de la souveraineté industrielle et des secteurs de la défense. Ce sont des enjeux majeurs pour nos deux régions, où ces filières sont particulièrement structurantes. Historiquement, nous avons toujours pu intervenir dans ces domaines, contrairement à certains fonds plus récents. Cela nous donne un positionnement solide et une légitimité pour accompagner des entreprises qui jouent un rôle crucial dans la réindustrialisation et l’autonomie stratégique du pays.
Nous avons aussi la chance de gérer deux véhicules evergreen, dont l’IRDI qui existe depuis plus de quarante ans et représente aujourd’hui environ 180 millions d’euros. Ce modèle nous apporte une grande stabilité et nous permet d’inscrire notre action dans une logique de long terme, en particulier auprès des PME industrielles, souvent moins attractives pour les grands fonds. L’ensemble de ces orientations vise à renforcer notre capacité à accompagner durablement les entreprises du Grand Sud-Ouest.
À travers son engagement constant auprès des entreprises du Grand Sud-Ouest, IRDI Capital Investissement montre qu’un investisseur peut jouer un rôle structurant bien au-delà du financement. L’expérience accumulée, la capacité à créer des ponts entre les acteurs locaux et l’accompagnement patient des dirigeants font de IRDI Capital Investissement, un partenaire singulier dans le paysage du capital-investissement. Dans un environnement économique exigeant, cette approche offre un repère solide aux entreprises qui souhaitent se développer, se transformer ou se renforcer. Plus qu’un acteur financier, IRDI Capital Investissement s’affirme ainsi comme un catalyseur durable du dynamisme entrepreneurial régional.