09/06/2025
6 minutes
Lancé en 2022 au sein de Sienna Investment Managers, le fonds Sienna VC s’impose comme un acteur dynamique du capital-risque en Europe. Porté par Isabelle AMIEL et une équipe d’investisseurs expérimentés, le fonds puise son dealflow dans des écosystèmes technologiques de premier plan comme Israël et les États-Unis, tout en explorant de nouveaux relais de croissance, notamment au Maroc. Fidèle à une vision « tech for purpose », Sienna VC conjugue convictions fortes, accompagnement opérationnel et volonté d’ouvrir des marchés. Dans cet entretien, Isabelle revient sur la genèse du fonds, son positionnement international et sa stratégie pour accompagner la croissance des startups à l’échelle mondiale.
Isabelle AMIEL
Head of Sienna Venture Capital
Isabelle : Quand j’ai quitté le Crédit Suisse pour La Maison Partners, l’objectif initial était de créer une ligne d’investissement avec des familles au capital. Mais très vite, j’ai orienté la stratégie vers un focus quasi exclusif sur la tech. C’était un pari à l’époque, car on était loin de l’ère de la Startup Nation en France. J’ai voulu inciter ces familles à surallouer ce secteur, alors qu’il était largement sous-représenté dans leurs allocations. En quelques années, La Maison est devenue un véritable véhicule d’investissement technologique.
En 2021, l’équipe d’investissement et moi-même avons rencontré les actionnaires du groupe GBL, qui portait l’ambition de créer Sienna Investment Managers, une plateforme de gestion d’actifs privés ouverte à des investisseurs tiers. Nous sommes venus avec la volonté claire de lancer une nouvelle génération de fonds et développer leur initiative venture capital et tech.
Isabelle : L’impact n’est pas un habillage marketing chez nous, c’est vraiment une question d’ADN. Dès le départ, on a souhaité s’orienter vers ce que l’on appelle la « tech for purpose », c’est-à-dire une technologie porteuse de sens. Ce n’est pas un positionnement opportuniste, ni une réponse à la mode des fonds à impact. C’est une conviction profonde : nous voulons accompagner des entrepreneurs qui cherchent à avoir un impact positif sur le monde, la société, l’environnement. Notre premier fonds est classé article 8, et nous avons l’intention de rester dans cette catégorie, car cela reflète sincèrement qui nous sommes en tant qu’équipe.
Isabelle : Recevoir ce prix de la Chambre de commerce France-Israël a été un vrai plaisir, d’autant qu’il a été remis par Maurice Lévy. Cela fait maintenant plus de 12 ans que nous investissons dans l’écosystème israélien. On y a financé plus de 50 entreprises, ce qui nous place comme l’un des investisseurs européens les plus actifs sur place. Au départ, c’était une opportunité de marché, car à l’époque, en dehors des États-Unis, il n’existait pas d’écosystème aussi mature et accessible. Israël reste aujourd’hui l’un des pays qui génèrent le plus de licornes dans le monde, plus que toute l’Europe réunie.
Isabelle : Le lancement du fonds a suscité un fort intérêt de la part des investisseurs dès 2023. Mais le momentum a été freiné le 7 octobre avec le déclenchement du conflit en Israël. Évidemment, cela a profondément affecté la perception du risque pour certains investisseurs, même si, dans les faits, les sociétés que nous finançons ne sont pas directement touchées, car leurs activités commerciales se déploient principalement aux Etats-Unis et à l’international.
Malgré ce contexte, nous avons finalisé un premier closing à 120 millions d’euros. Ce n’est pas l’objectif initial, mais c’est une taille solide qui nous permet déjà d’avoir un portefeuille diversifié, avec neuf investissements réalisés dans d’excellentes conditions de marché. Ce que l’on regrette, c’est que les investisseurs européens ne soient pas plus actifs, alors que les Américains, eux, continuent d’investir massivement dans l’écosystème israélien. C’est un paradoxe assez frappant.
Isabelle : Ce qui est intéressant avec les startups israéliennes, c’est qu’elles sont internationales par nature. Elles n’ont pas d’autre choix, car le marché local est trop petit. Dès le jour 1, elles conçoivent leur produit pour un marché global. Nous investissons principalement dans des modèles SaaS B2B, donc par définition, le marché est mondial.
On recherche des sociétés capables d’afficher au moins 100% de croissance annuelle pendant les deux années qui suivent notre entrée au capital. L’hypercroissance, pour nous, c’est un prérequis. Là où les startups françaises peuvent d’abord se développer sur un marché domestique profond avant d’attaquer l’international, les sociétés israéliennes n’ont pas ce luxe — elles doivent penser mondial tout de suite. Notre rôle, c’est de les aider à se déployer en Europe, marché par marché.
Isabelle : Un exemple emblématique, c’est Seemplicity, une société de cybersécurité dans laquelle nous venons d’investir. Cela faisait deux ans et demi que nous cherchions à finaliser un deal dans ce secteur. Le marché israélien de la cybersécurité est extrêmement compétitif, avec des valorisations très élevées. Nous avons été très exigeants pour rester fidèles à nos critères de sélection, que ce soit sur les valorisations, la qualité entrepreneuriale ou l’alignement stratégique. Seemplicity coche toutes les cases, et on est très heureux d’avoir investi chez eux.
Nous avons aussi investi dans Unleash, une entreprise dans le domaine de l’intelligence artificielle, et dans DustPhotonics, une société spécialisée dans le silicone photonique et les semi-conducteurs. Ces entreprises ont déjà attiré l’intérêt d’acquéreurs potentiels. On y retrouve à chaque fois une technologie de rupture, une vision forte et des fondateurs de très grande qualité.
Isabelle : On est très présents. On se considère comme une équipe hands-on. On siège toujours au board, pas par volonté de contrôle, mais pour pouvoir être un vrai partenaire actif. On agit comme une équipe de corporate development à temps partiel pour les startups. Grâce à notre réseau, on ouvre des portes : grands groupes, institutions, partenaires stratégiques.
L’un des défis, c’est souvent de convaincre les fondateurs que c’est le bon moment pour se tourner vers l’Europe. Leur marché de référence, c’est souvent les États-Unis. Il faut donc les convaincre d’y consacrer du temps, des ressources, un budget. On ne force jamais, mais quand le timing est bon, on est là pour accélérer.
Isabelle : C’est un sujet de perception plus que de réalité économique. D’un point de vue business, les sociétés israéliennes ont souvent leur R&D en Israël, mais tout ce qui est sales et exécution se fait à l’étranger, en particulier aux Etats-Unis. Elles sont donc peu affectées par le contexte local. Quand une startup a une technologie différenciante, un vrai avantage compétitif et une capacité d’exécution internationale, les investisseurs regardent les chiffres, pas la nationalité.
Isabelle : On a adopté l’intelligence artificielle de manière assez naturelle dans notre quotidien. Les LLM, comme ChatGPT, sont des outils qu’on utilise pour gérer le deal flow, synthétiser des réunions, analyser des documents ou encore monitorer nos participations. Ça nous permet d’être plus efficaces, notamment quand on traite des sujets très techniques, comme avec DustPhotonics. Aucun membre de l’équipe n’est ingénieur de formation, donc ces outils nous permettent de monter en compétence rapidement sur des sujets deeptech.
Isabelle : Le secteur reste très masculin, que ce soit du côté des investisseurs ou des entrepreneurs. Mais je pense que c’est une force d’être une femme dans cet univers. On a une sensibilité différente, y compris dans notre manière d’évaluer et d’accompagner les projets. En France, il y a encore très peu de femmes dans les fonctions dirigeantes du VC ou parmi les fondatrices. Ce n’est pas une situation qui évolue très vite, malheureusement.
Cela dit, on ne fait pas du genre un critère de sélection. Ce serait contre-productif. Par contre, on encourage activement nos entrepreneurs à faire évoluer leurs équipes sur ce sujet.
Isabelle : On veut continuer de croître, mais sans perdre notre esprit entrepreneurial. On regarde de près deux nouvelles initiatives. La première, c’est un fonds marocain, en partenariat avec le fonds souverain local. On pense que le Maroc peut devenir un hub stratégique pour la tech africaine. C’est une diaspora très présente, des talents très solides, et un écosystème en structuration. On veut investir dans des startups locales et dans la diaspora, mais aussi attirer des entreprises internationales pour y faire du transfert de technologies.
La seconde initiative, c’est un fonds « entrepreneurs pour entrepreneurs ». On a convaincu deux fondateurs français, à succès, qui ont monté des scale-ups de rang mondial, de rejoindre l’équipe d’investissement. L’idée, c’est de créer un vrai véhicule d’accompagnement, où leur expérience sera mise au service des futurs entrepreneurs. Les lancements sont prévus avant la fin d’année 2025.
À l’heure où beaucoup de fonds se ressemblent, Sienna VC cultive une approche singulière, à la fois internationale, opérationnelle et engagée. De l’écosystème israélien à celui du Maroc, en passant par la French Tech, le fonds trace sa route avec une vision claire : faire émerger des technologies utiles, portées par des fondateurs ambitieux, et les aider à franchir les frontières.