Deeptech, digital, climat : la stratégie du fonds franco-italien 360 Capital pour bâtir l’Europe de l’innovation

26/11/2025

14 minutes

Fondé à la fin des années 1990, 360 Capital s’est imposé comme l’un des fonds de capital-risque les plus actifs sur le segment de l’early stage en Europe. Entre vision pionnière, culture franco-italienne et thèse d’investissement centrée sur la deeptech, le digital et la climatetech, Alexandre Mordacq, Partner, revient sur la philosophie du fonds et sur sa manière d’accompagner les entrepreneurs.

Alexandre MORDACQ

Partner chez 360 Capital

360 Capital a été fondé à une époque où le capital-risque européen n’en était qu’à ses débuts. Quelle était la vision fondatrice du fonds, et comment a-t-elle évolué depuis ?

Alexandre Mordacq : En 1997, lorsque 360 Capital a vu le jour, le capital-risque européen était encore embryonnaire. À cette époque, les grandes levées de fonds et l’écosystème d’innovation que nous connaissons aujourd’hui n’existaient pas. Les deux fondateurs du fonds, anciens de McKinsey, observaient de près ce qui se passait aux États-Unis, où le venture capital connaissait déjà un véritable essor avec la montée en puissance de la tech et des premiers géants de l’Internet. Ils ont eu l’intuition qu’un tel mouvement allait finir par se produire en Europe, mais qu’il fallait pour cela poser les bases d’un écosystème d’investissement capable de soutenir les jeunes entreprises innovantes.

Leur objectif était de créer un acteur européen du capital-risque, à la fois indépendant et tourné vers les nouvelles technologies. Le premier fonds, doté d’une dizaine de millions d’euros sur un objectif initial de 50 millions, a été levé dans un contexte où très peu d’investisseurs croyaient encore à ce modèle. Ce montant modeste à l’époque a pourtant permis de financer plusieurs startups prometteuses et, surtout, de poser les fondations d’une philosophie d’investissement : accompagner des entrepreneurs ambitieux, sans crainte de s’aventurer sur des terrains nouveaux, avec une forte conviction technologique.

Cette vision s’est affinée au fil des années. À mesure que l’écosystème européen gagnait en maturité, 360 Capital s’est structuré en ouvrant deux bureaux à Paris et à Milan, deux capitales technologiques complémentaires. Cela nous a permis de renforcer notre ancrage dans le sud de l’Europe, tout en construisant une marque reconnue pour son expertise sur le segment early stage. C’est dans cette phase que nous aimons intervenir : quand tout reste à construire, quand l’histoire d’une entreprise commence à s’écrire. Notre rôle, c’est de miser tôt, d’aider à structurer les premières étapes et de rester aux côtés des fondateurs dans la durée.

Quelle est la singularité de 360 Capital dans l’écosystème européen du capital-risque ?

Alexandre Mordacq : La première spécificité du fonds, c’est notre double culture franco-italienne. Peu de structures ont cette identité biculturelle, qui influence notre manière de travailler et de comprendre les marchés. Elle nous permet de confronter deux approches de l’entrepreneuriat, deux visions de l’innovation et d’enrichir notre lecture des opportunités.

Nous avons aussi une culture de la transparence et du feedback très marquée. C’est une approche assez latine : nous disons les choses franchement, qu’elles soient positives ou non. Cette authenticité, nous la cultivons aussi bien en interne qu’avec les entrepreneurs. Elle nourrit des relations de confiance solides et durables.

Enfin, nous tenons à rester un fonds proche de nos participations. Nous limitons volontairement la taille de notre portefeuille pour pouvoir accompagner les équipes en profondeur. Dans un métier où l’on intervient à un stade très précoce, la proximité humaine compte énormément : nous sommes là pour échanger régulièrement, aider à trancher sur des décisions stratégiques, ou tout simplement pour répondre présent quand les fondateurs en ont besoin. C’est cette disponibilité et cette réactivité qui caractérisent notre manière d’investir.

Comment décririez-vous aujourd’hui la thèse d’investissement de 360 Capital ?

Alexandre Mordacq : Historiquement, nous venons du digital, avec des investissements comme Leetchi ou Aramis Auto. À cette époque, nous étions très actifs sur le B2C. Aujourd’hui, nous nous concentrons davantage sur le B2B software, qui constitue notre socle. Ces modèles présentent une meilleure scalabilité et une création de valeur plus prévisible.

Dès le début des années 2010, nous avons élargi notre champ d’action à la deeptech, devenant l’un des premiers fonds en France à s’y engager sérieusement. La deeptech représente des entreprises souvent plus complexes, avec des cycles de développement longs et des besoins de financement importants, mais aussi un potentiel de différenciation considérable. C’est dans ce cadre que nous avons investi dans Exotec, l’un de nos plus grands succès.

Enfin, à partir de 2019, nous avons commencé à investir activement dans la climatetech. Nous avons d’abord lancé un fonds pilote pour tester la profondeur du marché et la qualité du dealflow. Le succès de cette première expérimentation nous a conduits à lever en 2024 notre premier grand fonds climatetech, qui vise 200 millions d’euros. Cette stratégie s’inscrit dans la continuité de notre expertise deeptech : soutenir des entreprises qui apportent des solutions technologiques concrètes aux défis environnementaux.

Quels investissements incarnent le mieux la philosophie de 360 Capital ?

Alexandre Mordacq : Exotec en est un très bon exemple. C’était l’un des premiers investissements de notre fonds dédié à la deeptech. Quand nous avons rencontré les fondateurs, Renaud Heitz et Romain Moulin, ils étaient six dans un garage, avec un petit robot rudimentaire qui se déplaçait au sol. Mais ils nous ont présenté une vision beaucoup plus ambitieuse : des robots capables d’évoluer en trois dimensions dans les entrepôts.

Ce qui nous a convaincus, c’est leur profil. Ils se connaissaient depuis longtemps, avaient travaillé ensemble chez GE Healthcare, un environnement où la fiabilité doit frôler les 100 %. Leur rigueur technique et leur complémentarité nous ont donné confiance pour miser sur eux, alors que la robotique était encore perçue comme risquée. Nous avons investi très tôt, puis les avons suivis sur plusieurs tours. Leur croissance a été spectaculaire : ils sont passés de zéro à plus de 300 millions d’euros de chiffre d’affaires en quelques années.

Un autre exemple est Preligens, dans laquelle nous avons investi en 2017. L’équipe développait une technologie d’analyse d’images satellites, sans encore de produit abouti. Ils ont rapidement identifié leur marché dans la défense et ont créé un outil capable de surveiller des sites sensibles pour des acteurs du secteur. L’entreprise a ensuite été rachetée par Safran, tout en étant rentable.
Ces deux histoires illustrent bien notre philosophie : aller tôt sur des terrains encore peu explorés, faire confiance à des fondateurs d’excellence et soutenir des projets technologiques ambitieux, parfois à contre-courant des tendances du moment.

Au-delà du financement, comment accompagnez-vous vos participations ?

Alexandre Mordacq : L’accompagnement est une part essentielle de notre travail. Il se traduit d’abord par un soutien concret sur le business development : nous mettons à profit notre réseau de corporates et de partenaires pour aider nos startups à décrocher leurs premiers contrats.

Nous intervenons aussi sur les ressources humaines, que ce soit pour évaluer des candidats à des postes clés ou pour recommander des profils que nous rencontrons. Nous recevons beaucoup de sollicitations et jouons souvent ce rôle d’intermédiaire entre talents et entreprises du portefeuille.

Un autre aspect important, c’est la mise en relation entre fondateurs. L’entrepreneuriat est un métier parfois solitaire ; échanger avec d’autres dirigeants confrontés aux mêmes défis apporte beaucoup.

Enfin, nous accompagnons nos participations sur leurs levées de fonds suivantes : structuration du pitch, définition des bons KPIs, préparation des introductions auprès d’autres investisseurs. Nous sommes présents à chaque étape clé, toujours dans une logique de proximité et de réactivité.

Quels types d’investisseurs soutiennent aujourd’hui 360 Capital ?

Alexandre Mordacq : Nos LPs regroupent des investisseurs institutionnels — banques, assureurs, Bpifrance et le Fonds européen d’investissement, qui nous accompagne de longue date — ainsi que des investisseurs corporates. Cette combinaison reflète bien notre ADN européen et notre ancrage dans les secteurs industriels et technologiques.

Les corporates jouent un rôle particulièrement important dans nos fonds thématiques, notamment sur la climatetech. En Italie, par exemple, nous collaborons avec A2A, l’équivalent d’Engie dans le nord du pays, et Denora, un acteur industriel spécialisé dans les électrodes pour procédés chimiques et électrolyse. Ces partenaires nous apportent à la fois une expertise marché et un regard opérationnel sur les technologies que nous finançons.

Ce modèle crée une dynamique vertueuse : le corporate profite d’une fenêtre directe sur l’innovation, la startup bénéficie d’un premier client potentiel et d’un accompagnement sectoriel concret, et nous, fonds d’investissement, renforçons notre capacité à comprendre les besoins réels du marché.

C’est une manière d’aller au-delà du simple financement pour créer des ponts durables entre grands groupes et jeunes entreprises innovantes.

Comment intégrez-vous les critères ESG dans vos décisions d’investissement ?

Alexandre Mordacq : Tous nos fonds récents sont désormais classés Article 8 ou Article 9, selon la taxonomie européenne. Cela fait partie intégrante de notre démarche d’investissement. Concrètement, nous demandons à chacune de nos participations un reporting ESG régulier et nous veillons à ce que ces sujets soient abordés en conseil d’administration.

Sur le plan environnemental, la plupart des startups ont déjà pris conscience des enjeux. Beaucoup réalisent par exemple un bilan carbone ou des actions concrètes pour mesurer et réduire leur impact. Côté social et gouvernance, nous constatons aussi une vraie évolution : les jeunes entreprises mettent en place des BSPCE pour associer leurs équipes au capital et adoptent de bonnes pratiques de gouvernance, comme la présence de membres indépendants au board — un point que nous encourageons systématiquement, même dès le seed.

Au-delà des obligations réglementaires, l’idée est surtout de s’assurer que ces principes soient réellement pris au sérieux et intégrés dans la gestion quotidienne des startups. Et pour être honnête, les fondateurs sont aujourd’hui de plus en plus proactifs sur ces sujets, ce qui rend la démarche naturelle et efficace.

Comment percevez-vous aujourd’hui la compétitivité de l’écosystème européen face aux États-Unis et à l’Asie, notamment dans la deeptech et la climatetech ?

Alexandre Mordacq : L’Europe, et particulièrement la France, dispose d’un vrai avantage technologique sur certains segments, notamment la deeptech et la climatetech. Nous avons ici d’excellents ingénieurs, très compétents en hardware et capables d’aborder les problématiques de manière globale. C’est une différence importante avec les États-Unis, historiquement plus forts en software, ou l’Asie, qui s’est surtout illustrée sur la robotique et le manufacturing à grande échelle.

Quand on parle d’innovation technologique profonde, les compétences européennes sont reconnues. On le voit en France, en Allemagne ou dans le nord de l’Italie, où il existe une vraie tradition d’ingénierie et d’excellence industrielle. Cela donne à l’Europe une place particulière dans ces secteurs.

Cela dit, la concurrence s’intensifie, notamment avec l’arrivée de fonds américains sur le marché de l’early stage. Ils n’hésitent plus à intervenir très tôt, parfois même sur des tours de seed. De notre côté, nous défendons nos atouts : une meilleure connaissance du marché local, une proximité avec les entrepreneurs, et un ancrage européen fort. Ce sont des avantages réels pour accompagner les startups sur la durée, au-delà du capital pur.

Quelles sont les technologies ou méthodes que vous utilisez chez 360 Capital pour optimiser vos processus de sourcing et d’analyse ?

Alexandre Mordacq : C’est une réflexion permanente chez nous. Nous cherchons constamment à améliorer nos outils et nos méthodes pour gagner en efficacité, sans pour autant dénaturer la dimension humaine du métier.

Sur la partie sourcing, nous adoptons une approche très proactive et structurée. Nous combinons plusieurs sources d’informations publiques, des outils d’analyse interne et une veille sectorielle approfondie pour identifier très tôt les projets à fort potentiel. L’objectif est de repérer les bons fondateurs avant qu’ils ne soient déjà sur tous les radars. Cette approche s’appuie sur la donnée, mais aussi sur notre réseau et notre présence dans les écosystèmes d’innovation, en France comme en Europe.

Sur la partie analyse, nous commençons à utiliser des outils d’intelligence artificielle, notamment pour les études de marché ou la synthèse d’informations. Cela permet de gagner du temps, mais nous restons prudents : le jugement humain reste au cœur du processus d’investissement. L’IA est utile pour ouvrir des pistes, pas pour décider à notre place.

Enfin, sur le plan opérationnel, nous utilisons plusieurs outils collaboratifs pour centraliser nos échanges, suivre nos dossiers et fluidifier la communication avec les investisseurs. C’est un chantier permanent : notre objectif est de nous appuyer sur la technologie pour être plus performants, tout en conservant une approche de fond très qualitative et humaine.

Quelles sont les ambitions à court et moyen terme de 360 Capital ?

Alexandre Mordacq : Notre ambition reste la même : rester parmi les meilleurs fonds européens de l’early stage. Nous avons un historique de performance solide, qui nous permet de continuer à attirer de bons investisseurs et de bons dossiers.

À court terme, nous voulons maintenir ce niveau d’exigence tout en poursuivant notre stratégie sur nos trois piliers : le digital, la deeptech et la climatetech. Ce sont des secteurs dans lesquels nous avons développé une réelle expertise et où nous souhaitons continuer à jouer un rôle moteur.

À moyen terme, l’idée est aussi de renforcer notre position en Europe du Sud, qui est notre terrain naturel. C’est une région où nous voyons beaucoup de talent et de potentiel, mais encore un déficit de capital early stage. Nous voulons continuer à y investir et à y construire une présence forte.

Nous réfléchissons également à faire évoluer la taille de nos fonds, afin de pouvoir accompagner nos entreprises plus longtemps dans leur développement, sans changer de nature. L’objectif n’est pas de devenir un fonds de late stage, mais de garder notre ADN : être proche des fondateurs, réactif, et toujours concentré sur les premières étapes de création de valeur.

En près de trois décennies, 360 Capital s’est imposé comme un acteur clé de l’investissement early stage en Europe. En combinant exigence technologique, ancrage franco-italien et proximité avec les fondateurs, le fonds a su bâtir une identité singulière : celle d’un investisseur qui ose aller tôt, sur des terrains encore peu explorés, mais toujours avec une conviction forte. Entre digital, deeptech et climatetech, 360 Capital illustre une certaine idée du capital-risque européen — plus technique, plus patient, et profondément attaché à la qualité des équipes qu’il accompagne. Dans un environnement devenu plus concurrentiel, cette approche rigoureuse et humaine demeure sa marque de fabrique, et sans doute, sa meilleure promesse d’avenir.