De l’expérience entrepreneuriale à l’investissement : l’ADN singulier de Serena

31/10/2025

16 minutes

Fondé en 2008, Serena s’est imposé comme l’un des fonds de capital-risque les plus singuliers de l’écosystème européen. Sa particularité : avoir été créé par des entrepreneurs qui ont eux-mêmes traversé les difficultés et les succès de l’hypercroissance. Dans cet entretien, Marc, Managing Partner et CEO, revient sur l’ADN de Serena, sa thèse d’investissement et sa vision de l’avenir.

Marc Fournier

Managing Partner chez Serena

Pourquoi avoir fondé Serena en 2008 ? Quel manque cherchiez-vous à combler ?

Marc : Serena est née d’une conviction simple : il manquait en France un fonds construit par des entrepreneurs. Nous étions trois associés avec plusieurs aventures derrière nous. L’une d’elles avait été acquise par la Société Générale, ce qui nous a permis de gérer pour la première fois des capitaux importants. Cette expérience a été un déclencheur. Nous aimions la dimension stratégique de l’investissement, mais nous voulions y apporter une approche différente, centrée sur l’expérience vécue.

À l’époque, le marché du capital-risque en France était encore balbutiant et dominé par des profils très financiers. Les fonds capables de comprendre dans leur chair ce que signifie gérer une croissance accélérée, affronter des crises de trésorerie ou constituer une équipe quasiment de zéro étaient inexistants. C’est ce vide que nous avons voulu combler en créant Serena.

En quoi l’ADN de Serena se distingue-t-il aujourd’hui ?

Marc : Ce qui nous distingue aujourd’hui et constitue l’ADN de Serena, c’est notre capacité à comprendre profondément le langage entrepreneurial. Nous avons vécu ce que vivent nos entrepreneurs, et c’est cette compréhension qui fait toute la différence. Intellectuellement, on peut comprendre la difficulté d’une fin de mois qui ne se boucle pas… mais tant qu’on ne l’a pas affrontée soi-même, on ne la comprend pas viscéralement.

C’est cette expérience-là qui change tout et qui définit notre ADN. La déclinaison de ce postulat est que ce n’est jamais celui ou celle qui est le meilleur(e) qui gagne, mais celui ou celle qui court le plus vite. C’est pourquoi nous avons mis en place une équipe d’Operating Partners, dont l’objectif est de décupler la capacité d’exécution des entrepreneurs et d’adresser tous leurs défis: le recrutement, la stratégie, l’organisation, la technologie, la vente, le développement international.

Quelle est la thèse d’investissement de Serena aujourd’hui ?

Marc : La thèse d’investissement de Serena s’articule autour de notre mission qui est de soutenir le succès d’entrepreneurs innovants et ambitieux, avec la conviction que leurs projets peuvent contribuer à un monde meilleur. Pour nous, investir n’est pas uniquement un acte financier ou business, c’est un acte de responsabilité. Chaque décision que nous prenons doit allier potentiel économique et impact positif à long terme.

Nous sommes à la recherche d’entrepreneurs d’exception, d’équipes capables de relever les grands défis contemporains : l’innovation technologique, la transition énergétique et l’inclusion sociale. Notre mission est de les accompagner dans leur développement, en veillant à ce qu’ils construisent des entreprises performantes, mais aussi des entreprises qui ont un sens, qui apportent des solutions concrètes pour améliorer le monde dans lequel nous vivons.

Nos investissements s’articulent autour de quatre verticales, chacune devant répondre à un double impératif : la performance financière et la responsabilité.

Une verticale historique , à travers laquelle nous avons investi dans des marketplaces, plateformes SaaS ou solutions B2B et à travers laquelle nous nous concentrerons désormais sur l’IA appliquée et la transition énergétique.

Une verticale deeptech , dédiée aux innovations de rupture, comme la modern data stack et l’intelligence artificielle, la blockchain, et l’informatique quantique comme Quandela, qui développe des ordinateurs quantiques.

Une verticale impact , qui couvre les technologies dans les secteurs de l’environnement, de l’éducation et du bien-être.

Une verticale corporate venture , à travers laquelle nous co-construisons des véhicules thématiques avec de grands groupes. Cela permet de rapprocher des acteurs établis et des startups, et de générer des synergies utiles à l’ensemble de l’écosystème. Nos derniers investissements à travers cette thèse incluent Underdog, dont l’ambition est de devenir le leader de l’électroménager reconditionné, et Goodvest, plateforme d’épargne responsable.

Comment cette équipe d’Operating Partners fonctionne-t-elle et quelle valeur apporte-t-elle ?

Marc : Dès le départ, nous savions qu’un soutien purement financier ne suffisait pas pour donner à une startup toutes les chances de franchir ses étapes de croissance. C’est ce constat qui a conduit à la création de notre équipe d’Operating Partners. Leur rôle est d’apporter une expertise opérationnelle de haut niveau, souvent difficile à trouver dans les phases précoces de développement d’une entreprise.

Concrètement, il s’agit de profils ayant créé des sociétés ou occupé des postes de direction dans de grandes organisations, avec une expérience cumulée qui couvre l’ensemble des fonctions critiques : stratégie commerciale, développement produit, ressources humaines, structuration financière, internationalisation. Ils ne se contentent pas de donner un avis ponctuel : ils travaillent aux côtés des fondateurs pour établir un diagnostic précis de la situation, identifier les points de blocage et concevoir une feuille de route claire.

Ce processus est tripartite : l’équipe d’investissement définit les grandes priorités, les fondateurs partagent leur vision et leurs contraintes, et l’Operating Partner traduit le tout en actions concrètes. Ce mode de fonctionnement permet d’aligner tous les acteurs sur des objectifs mesurables, par exemple en matière de croissance du chiffre d’affaires, de recrutement clé ou d’ouverture de nouveaux marchés.

Notre budget nous “limitant” à une équipe Operating de 10 personnes, nous avons identifié un levier puissant pour adresser avec la même exigence une centaine de startups : nous avons mis en place une communauté de plus de 550 C-levels, à la disposition de laquelle nous avons créé une bibliothèque de contenus et des canaux de conversation dédiés. Ce dispositif collectif vient compléter l’action des Operating Partners en offrant un accès immédiat à une expertise terrain et à un partage de bonnes pratiques entre pairs. Un exemple simple : lorsqu’un fondateur cherche un avocat spécialisé en propriété intellectuelle aux États-Unis, il obtient en quelques minutes trois retours argumentés d’autres entrepreneurs ayant déjà vécu la même problématique.

Cette double approche, expertise interne structurée et intelligence collective issue de la communauté, est l’un des piliers de notre différenciation.

Comment accompagnez-vous vos startups dans la logique de « fundraising readiness » ?

Marc : Chez Serena, nous accompagnons nos startups dans une véritable logique de fundraising readiness dès le premier jour. Notre approche consiste à préparer la croissance et la liquidité bien avant même l’investissement : la réflexion sur la sortie et les futures étapes de financement fait partie intégrante de notre stratégie d’accompagnement.

Comme mentionné, nous fonctionnons de manière tripartite (entre l’équipe Operating, l’équipe d’investissement et l’équipe de la société) afin d’identifier les indicateurs clés de performance qui permettent de franchir chaque étape de développement avec une valorisation optimale. Cette valorisation est un levier essentiel pour attirer les investisseurs suivants et faciliter les tours de table à venir.

Dès le premier tour, nous anticipons les levées futures, en aidant les fondateurs à structurer leur trajectoire financière et à bâtir une histoire d’investissement cohérente. La présence de Serena au capital constitue déjà un signal fort sur le marché, suscitant naturellement l’intérêt d’autres investisseurs. Parallèlement, nous entretenons des relations étroites et continues avec les fonds européens et internationaux, qui deviennent souvent les partenaires des tours suivants. D’ailleurs, près de 70% des sociétés du portefeuille Serena ont levé leur tour suivant avec des leads internationaux.

Selon Dealroom, les startups soutenues par Serena ont 4,5 fois plus de chances de lever leur prochain tour, et 75 % de nos participations seed atteignent la Série A, contre une moyenne de 29 % sur le marché, et ce en seulement 17 mois (contre 25 mois en moyenne).

Votre troisième fonds, Serena III, a levé 220 M€ en 2021. Où en est-il aujourd’hui ?

Marc : Serena III est un fonds aujourd’hui totalement déployé. Les sociétés de ce portefeuille ont levé plus de 600 millions d’euros sur le dernier exercice, portant leur financement cumulé à plus de 1,5 milliard d’euros depuis 2018. La valorisation combinée de ses participations approche désormais les 5 milliards d’euros, avec plusieurs entreprises déjà solidement implantées à l’international. C’est notamment le cas de Descartes Underwriting (présente dans 65 pays), Electra (9 pays), Pelico (20 pays), Uniphore (20 pays) ou encore Wecasa (5 pays).

Nos sociétés progressent plus rapidement que la moyenne du marché et franchissent les étapes de financement avec un taux de réussite supérieur.

Comment construisez-vous la relation avec vos Limited Partners et quels profils les composent ?

Marc : Nous avons fait le choix, dès la création de Serena, de travailler principalement avec des investisseurs institutionnels, ce qui nous a conduit à constituer une base solide et fidèle, composée aujourd’hui de la quasi-totalité des grands institutionnels français. Ces relations ne se limitent pas à un volet financier : elles s’appuient sur une confiance réciproque et une collaboration stratégique qui se développe souvent sur plusieurs décennies.

Concrètement, certains de nos LPs nous confient la gestion de fonds dédiés, alignés sur leurs propres priorités thématiques, tandis que d’autres sollicitent notre expertise pour accompagner leurs projets internes liés à l’innovation. Cette proximité crée une relation de partenariat durable, où chacun trouve un intérêt au-delà du seul rendement financier.

En termes de profils, nous comptons une vingtaine d’institutionnels majeurs, avec une forte représentation d’acteurs français – parmi lesquels l’EIF, la BPI, Allianz ou encore la MGEN. Nous collaborons principalement avec des institutionnels et des fonds de fonds, ce qui reflète la maturité et la stabilité de notre base d’investisseurs. Fait notable : près de 90 % de nos LPs réinvestissent à chaque nouveau fonds. C’est un signe de confiance rare dans notre secteur et une preuve tangible de la solidité de notre modèle.

Notre rôle est d’entretenir cette relation dans la durée, par la transparence, le professionnalisme et la capacité à générer de la valeur de manière constante. Pour nous, les LPs ne sont pas seulement des investisseurs, ce sont de véritables partenaires de croissance avec qui nous partageons une vision commune.

Quelles technologies ou méthodes utilisez-vous aujourd’hui pour optimiser vos processus de sourcing, d’évaluation ou d’accompagnement ?

Marc : Il y a plus de dix ans, nous avons développé en interne un radar de détection pour repérer les signaux faibles sur le marché: intensification des campagnes publicitaires, hausse du volume d’offres d’emploi, activité accrue sur certains canaux digitaux… Pris isolément, ces éléments peuvent paraître anecdotiques, mais une fois agrégés et analysés, ils permettent souvent d’anticiper qu’une startup entre dans une phase de forte accélération. Aujourd’hui, nous modernisons ce radar grâce à l’intelligence artificielle, qui nous aide à obtenir des analyses plus rapides et à enrichir notre compréhension des dynamiques du marché.

En revanche, lorsqu’il s’agit d’évaluer les dossiers d’investissement, notre utilisation de l’IA reste limitée. Les sociétés dans lesquelles nous investissons sont encore jeunes, souvent en phase seed ou early stage, et les données disponibles ne suffisent pas à nourrir des modèles d’analyse vraiment pertinents. Surtout, nous investissons avant tout dans des hommes et des femmes, dans leur vision et leur capacité d’exécution — des dimensions que la technologie ne peut pas encore appréhender. Si nous investissions sur des tours plus avancés, comme des séries B ou C, l’IA jouerait un rôle plus normatif ; aujourd’hui, elle reste un outil d’appui, mais le jugement humain demeure central.

Enfin, l’IA intervient également dans l’accompagnement opérationnel. Nous disposons aujourd’hui de plus de 250 playbooks conçus par nos Operating Partners. Ces guides couvrent tous les grands enjeux : structuration d’une équipe commerciale, mise en place d’une stratégie produit, internationalisation… L’IA nous permet de personnaliser ces playbooks pour chaque startup, en tenant compte de son stade de développement, de son secteur et de ses priorités spécifiques.

L’objectif de cette démarche est simple : gagner du temps, réduire les incertitudes et donner à nos entrepreneurs des outils encore plus adaptés à leurs besoins.

Quelles sont vos ambitions à court et moyen terme pour Serena ?

Marc : Notre première ambition est de maintenir notre indépendance dans un marché en pleine consolidation. Nous avons déjà franchi les barrières les plus difficiles de ce métier: réputation, réseau, marque, performance, accompagnés par une base d’investisseurs exigeante et fidèle. L’excellence est la condition de cette indépendance et elle repose sur la qualité et la discipline de notre gestion, ainsi que sur l’agilité et l’autonomie de nos équipes dont l’objectif est de créer de la performance.

Notre deuxième ambition concerne le renforcement de notre présence en Europe. Nous avons récemment investi en Espagne à travers Clevergy (contrôle et pilotage de la consommation énergétique), et nous avons réalisé la plus grosse levée de fonds seed en Autriche à travers Emmi.AI (simulation industrielle en temps réel pilotée par l’IA).

Notre troisième ambition est l’expansion internationale, et ce d’autant plus que la plupart de nos startups ont vocation à dépasser les marchés domestiques. Sur les 18 derniers mois, 46% de nos opérations ont été faites à l’étranger.

Enfin, notre quatrième axe concerne l’ouverture de nouvelles verticales d’investissement, notamment dans le domaine du capital développement et du growth.

Nous avons récemment lancé Serena IV, un nouveau fonds de 200 M€ dédié à deux transformations stratégiques pour l’Europe : l’intelligence artificielle appliquée et la transition énergétique. Ces deux thématiques redéfinissent les chaînes de valeur à l’échelle mondiale et offrent à l’Europe une opportunité unique de reprendre la main sur son avenir technologique, économique et écologique.

Serena IV s’inscrit dans la continuité de nos fonds précédents, avec l’ambition d’accompagner des entrepreneurs dès leurs premières phases de développement, et de soutenir la construction de leaders mondiaux. Ce fonds a déjà réalisé quatre premiers investissements, dont Formality, une plateforme de gestion de contrats dopée à l’IA, lancée par les fondateurs de TVTY (financée par Serena et revendue à Nielsen).

La taille totale des montants levés par Serena a doublé en moins de cinq ans, atteignant désormais le milliard d’euros. Serena IV est un exemple concret de cette ambition. Le fonds bénéficie de la confiance renouvelée de plus de 80 % de nos investisseurs historiques et d’une base élargie de nouveaux investisseurs institutionnels et privés. Avec ce lancement, Serena franchit un nouveau cap et renforce sa capacité à accompagner des entreprises aux ambitions mondiales.

Serena s’est imposé comme un fonds singulier : pensé par des entrepreneurs, il place l’exécution et l’accompagnement opérationnel au cœur de sa démarche. Avec une stratégie claire et une volonté affirmée d’indépendance, le fonds poursuit un objectif simple : donner aux fondateurs les moyens d’aller plus vite et plus loin, tout en construisant des entreprises durables et ambitieuses.