05/06/2025
4 minutes
Créé en 2022, Campus Fund est un fonds d’investissement atypique dans l’écosystème VC français : il investit exclusivement dans des startups fondées par des étudiants ou jeunes diplômés. Une stratégie pionnière, née d’une conviction forte et d’une lecture fine des signaux émergents du marché. Nicolas Rizk, cofondateur du fonds avec Romain Baranger, revient sur la genèse du projet, sa thèse d’investissement et les ambitions à venir.
Nicolas Rizk
Co-founder chez Campus Fund
Nicolas : Avec Romain, on a monté Campus Fund en 2022 alors qu’on était encore étudiants — lui à Neoma, moi à Dauphine. Ce qu’on observait très clairement autour de nous, c’est que l’entrepreneuriat devenait de plus en plus désirable. De plus en plus d’étudiants voulaient monter leur boîte. C’était en train de devenir un sport à la mode. Dans ma promo, on était 20, et 10 voulaient lancer une startup. C’est un énorme ratio.
En parallèle, on voyait apparaître des fonds dédiés aux étudiants entrepreneurs à l’étranger — Dorm Room Fund aux États-Unis, Creator Fund au Royaume-Uni. Mais en France, il n’y avait pas d’acteur structuré sur cette cible. Pourtant, quand on regarde le French Tech 120 ou le Next40, on retrouve des belles startups fondées sur les campus, à l’image de Payfit ou Contentsquare. Il y avait un vrai vide à combler : un acteur dédié, capable d’évangéliser, d’apporter des repères dans un écosystème encore très opaque pour beaucoup de jeunes. C’est ce qui nous a poussés à nous lancer.
Nicolas : Nous investissons exclusivement dans des projets technologiques B2B reposant sur une technologie propriétaire développée en interne. Notre thèse repose sur une conviction forte : le succès à long terme passe par une équipe fondatrice solide, techniquement compétente et parfaitement alignée. C’est pourquoi nous n’investissons pas dans des solopreneurs. Les statistiques montrent que les entreprises fondées par une seule personne lèvent moins de fonds et réussissent moins souvent. Ce choix n’est pas idéologique, mais pragmatique : nous intervenons très en amont, en pre-seed, auprès de primo-entrepreneurs souvent sans expérience. Dans ce contexte, investir dans une équipe plutôt qu’un individu réduit considérablement le risque, tout en augmentant la finançabilité future du projet.
Nous exigeons donc au minimum deux cofondateurs, avec des profils complémentaires — souvent un binôme CEO/CTO — et surtout un alignement clair au capital. Un déséquilibre marqué, comme un CEO à 98 % et un CTO à 2 %, est pour nous rédhibitoire. Ce que nous cherchons avant tout, c’est une équipe soudée, partageant une vision commune et capable de faire preuve d’une réelle capacité d’exécution.
Nous nous concentrons uniquement sur les étudiants ou jeunes diplômés, avec une définition stricte : au maximum deux à trois ans après la sortie d’école. À ce stade, tout compte : la posture, la dynamique dans les échanges, la réactivité… Ces signaux faibles sont souvent de puissants indicateurs de la capacité à exécuter et à résister aux nombreux aléas de l’aventure entrepreneuriale. Un candidat qui met deux semaines à répondre, par exemple, est pour nous un vrai signal d’alerte.
Nicolas : Aujourd’hui, on a réalisé 20 deals. On s’était fixé l’objectif de 25, donc on est proches du but, qu’on atteindra d’ici septembre. On fait en moyenne un deal par mois. Il y a une vraie courbe d’apprentissage : en 2022, on fait 4 deals, en 2023, 6, et en 2024, on est déjà à 10. On est de plus en plus efficaces, plus professionnels dans le process.
Le portefeuille commence aussi à se polariser. On a cinq boîtes qui performent très fort, avec une croissance de 50 % chaque mois pour certaines. Quatre d’entre elles ont déjà levée à nouveau. À l’inverse, cinq autres ont du mal à trouver leur marché. C’est la loi du portefeuille VC. Le reste est encore jeune : on verra comment ça évolue d’ici un an. Et pour l’instant, on n’a pas encore de perte sèche, ce qui est encourageant. Aujourd’hui on a déployé d’1 million d’euros de capital qui valent théoriquement désormais deux fois le montant initial.
Nicolas : C’est toujours difficile de choisir seulement trois startups dans son portefeuille, car quand on investit, c’est qu’on croît profondément dans chaque projet et dans chaque équipe. Mais si je devais en retenir quelques-unes qui illustrent bien notre thèse et notre manière de travailler, voici trois exemples parlants.
La première, c’est SpaceLocker. Ils développent une solution pour faciliter l’envoi d’expériences scientifiques en orbite. Ils divisent par 10 le coût de ce type de mission. On les a rencontrés sur le plateau de Saclay, on a été leur tout premier investisseur. Depuis, ils ont levé un tour et sont partis à bord d’un Falcon 9 de SpaceX. C’est la plus jeune boîte en Europe à avoir envoyé du matériel en orbite un an après sa création. Les fondateurs ont 23 et 24 ans.
La deuxième, c’est Corma, un logiciel de gestion des licences logicielles en entreprise. En deux semaines, on a bouclé notre investissement, syndiqué un tour avec nos business angels, qui sont entrés en perso. Corma cartonne, ils sont une dizaine, avec une équipe très internationale.
Enfin, Kleep, dans le fashion e-commerce. Ils aident les marques à réduire leur taux de retour grâce à des outils d’analyse. Ils ont une quarantaine de clients, dont The Kooples, Showroomprivé, Galeries Lafayette ou Lacoste. On les a rencontrés dès 2022, incubés dans le même espace que nous. Ils ont récemment levé 3 millions.
Ce qui nous a convaincus à chaque fois, c’est la qualité des équipes, l’alignement, l’intensité des échanges et la capacité à exécuter. Et le fait qu’on puisse être leur premier partenaire, au bon moment, avec un rôle concret à jouer.
Nicolas : On a 67 actionnaires. Ce sont essentiellement des entrepreneurs français et européens. Il y a quelques family offices — comme celui de Thierry Petit, fondateur de Showroomprivé — et des profils corporate C-level, comme Guillaume Sarkozy. On compte aussi des fondateurs de PriceMinister, WeMaintain, Lyf Pay, Atari…
Ils investissent pour trois raisons : certains veulent faire de la veille sur les boîtes très early-stage pour investir plus tard, d’autres veulent redonner à l’écosystème, et enfin, certains cherchent à exposer une partie de leur portefeuille à un risque fort, avec une thèse très early. Notre ambition, c’était de réunir des gens qui comprennent ce qu’on fait, qui savent ce que c’est que monter une boîte, et qui sont prêts à nous suivre dans une aventure risquée mais porteuse de sens.
Nicolas : Quand on a commencé, très peu de dossiers venaient à nous spontanément. Aujourd’hui, on en reçoit de plus en plus. Les étudiants sont plus acculturés à l’écosystème, ils maîtrisent mieux les sujets de financement, viennent avec des modèles de quasi-équity comme les BSA AIR ou les obligations convertibles. Le niveau a vraiment monté d’un cran.
L’écosystème se structure aussi dans les écoles. Depuis 2022, on as vu l’apparition de fonds étudiants comme Polytechnique Ventures, Centrale Ventures, l’EDHEC Venture Fund, qui interviennent plus tard dans la chaine de valeur de financement que Campus Fund… Les incubateurs se multiplient, les programmes “Pépites” se développent. Il y a un vrai élan. Et les chiffres du gouvernement confirment cette dynamique.
Nicolas : Sur le sourcing, on reste très terrain. On est sur les campus, on donne des conférences, on fait du repérage à l’ancienne, on est jury d’incubateurs… C’est artisanal, mais efficace. On utilise quand même les outils classiques — Linkedin, Airtable, Phantom Buster — et de plus en plus, des modèles fine-tunés comme ChatGPT pour la veille marché et les due diligence.
Côté accompagnement, on fonctionne beaucoup avec Notion. On a monté une entité, Campus Fund Advisory avec Eric Torres, où 10 de nos actionnaires consacrent deux jours par mois à accompagner les startups. Sur le fonds 2, tout sera centralisé dans Notion : comptes-rendus, reporting, suivi. On reste un petit fonds, donc il y a un réel enjeu à nous outiller davantage dans le cadre du lancement de notre second fonds.
Nicolas : C’est omniprésent. Sur les 100 boîtes qu’on voit par mois, 70 % sont basées sur de l’IA générative. On est passés d’une IA généraliste à une IA ultra-verticalisée. Les projets qu’on voit aujourd’hui ciblent des cas d’usage métier très précis : pour les game designers, les avocats, les labos pharma…
L’enjeu, ce n’est plus tant la techno — elle est accessible à tous — que le go-to-market. C’est ça qui fera la différence. On reste très vigilants sur la manière dont les fondateurs abordent leur marché.
Nicolas : On va clôturer notre premier fonds à 25-26 deals d’ici septembre. Et on lance le Fonds 2, qui est déjà créé, avec une bonne partie du capital sécurisée. On vise entre 5 et 8 millions d’euros pour financer une cinquantaine de startups, avec une approche plus européenne — 20 à 30 % du portefeuille.
On garde la même thèse, mais avec plus de volume. On veut faire jouer les statistiques pour absorber le risque. Et à long terme, notre ambition, c’est de devenir la plateforme européenne de référence pour le financement en pré-seed des jeunes entrepreneurs.
Campus Fund ne se contente pas de cocher les cases d’un fonds de pré-seed. Il incarne une nouvelle génération d’investisseurs, en phase avec les mutations profondes de l’entrepreneuriat étudiant. Avec une approche ultra-ciblée, une capacité à détecter les signaux faibles et un ancrage fort dans les campus, le fonds ouvre une voie inédite. Et ce n’est qu’un début.