01/09/2025
9 minutes
Dans un paysage de plus en plus concurrentiel, certains fonds d’investissement parviennent à se distinguer par leur capacité à conjuguer ancrage territorial, rapidité d’exécution et ambition internationale. Dans cet entretien, Maxime Lambert, VC associate chez Aquiti Gestion, partage la stratégie d’un fonds régional qui investit très tôt dans les start-up à fort potentiel. Il revient sur la création d’Aquiti, leurs choix sectoriels, leur ancrage territorial et leurs ambitions pour faire émerger les champions technologiques de demain.
Maxime LAMBERT
VC Associate chez Aquiti Gestion
Maxime : Aquiti est une société de gestion fondée en 2018 et investissant activement dans un large quart sud-ouest de la France. Nous investissons sur tout le cycle de développement des sociétés, de l’amorçage au capital-développement / transmission. Chaque stratégie est portée par une équipe dédiée, opérant au plus près des entrepreneurs implantés en région.
En juillet 2024 nous avons levé un nouveau fonds d’amorçage, dédié au financement en pre-seed/seed de startups basées dans un large quart sud-ouest (Bordeaux, Nantes, Montpellier, Toulouse, Biarritz, etc). Nous avons lancé AVA1 avec des convictions fortes : d’une part l’écosystème régional s’est considérablement structuré et voit aujourd’hui de bonnes équipes de first-time entrepreneurs émerger, issues d’excellentes écoles d’ingénieurs, de chimie, des CHU, etc. Et ayant connu des expériences comme opérateurs dans des startups et scale-ups. D’autre part, l’arc atlantique est une terre extrêmement attractive pour des repeat entrepreneurs ayant déjà créé et vendu des sociétés en Europe ou aux US, qui souhaitent s’implanter ici et monter de nouvelles startups avec de grosses ambitions.
L’ADN du fonds est de combiner proximité humaine forte avec les entrepreneurs et ambition très importante. Ce positionnement assumé nous permet d’apporter une réponse concrète et efficace à un besoin longtemps négligé en région : celui d’un investisseur capable de s’engager tôt, vite, et avec ambition, pour structurer des levées de fonds cohérentes dès l’amorçage.
Maxime : Notre différenciation repose sur deux piliers essentiels : d’une part, un ancrage territorial fort, qui nous permet d’investir sur les champion technologique régionaux dès le premier jour ; d’autre part, une ambition assumée et une expérience de l’équipe de gestion permettant d’accompagner les projets les plus prometteurs de la région avec les mêmes standards que des fonds internationaux.
Nous croyons que cette combinaison de proximité et de haut niveau d’exigence constitue un levier puissant. D’une part, l’ancrage local nous permet d’identifier les opportunités très en amont (e.g.Treefrog, Dioxcyle, Elicit Plant, Materrup, Fineheart), parfois avant même la création de la société, et d’accompagner les équipes fondatrices dans la définition de leur ambition et de leur modèle.
D’autre part, notre équipe est composée de profils expérimentés et complémentaires, comme Jean-François Cochy, partner en charge du fonds qui a auparavant passé 9 ans chez Cathay Innovation (e.g. Ledger, Owkin, Glovo, Descartes, Alma, etc.). Cela nous permet d’ouvrir notre réseau aux startups que nous accompagnons et de préparer activement leurs levées futures, notamment en s’adressant aux meilleurs fonds européens ou nord-américains.
En somme, notre ADN repose sur cette capacité à relier le meilleur des deux mondes : l’intimité avec les dynamiques locales et l’ambition internationale dans l’accompagnement.
Maxime : Nous intervenons uniquement au stade de l’amorçage, principalement en pre-seed et en seed. Près de la moitié de notre portefeuille actuel est constitué de sociétés avec lesquelles nous avons noué un lien avant même leur création juridique. Cela reflète notre capacité à détecter très en amont les équipes prometteuses et à les accompagner dès les premières phases d’idéation.
Nos critères d’investissements sont essentiellement la qualité de l’équipe fondatrice, la profondeur de marché et le founders-market fit. Nous cherchons à nous forger rapidement une opinion sur ces éléments et passons beaucoup de temps à faire des ref checks sur les entrepreneurs. La différenciation, par la technologie, le business model et la capacité d’exécution doit être forte car nous ne cherchons pas à investir sur les meilleurs projets locaux mais sur les futurs champions internationaux, implantés en région.
C’est l’élément le plus déterminant. Nous recherchons des entrepreneurs capables de porter une ambition forte, d’exécuter rapidement et de s’adapter à un environnement en constante évolution, adressant des marchés profonds ou en émergence, portés par des vagues d’innovation profondes et durables. Enfin, une différenciation claire est essentielle. Elle peut être d’ordre technologique, mais aussi structurelle, stratégique ou liée à l’approche produit.
Nous ne croyons pas qu’une technologie de rupture suffise à garantir la réussite d’une entreprise. Sans une équipe solide et une vraie performance économique par rapport aux solutions existantes, la barrière technologique reste insuffisante pour bâtir un champion.
Ces principes guident notre stratégie d’investissement, notamment au sein de notre fonds AVA1, lancé en 2024, qui constitue aujourd’hui notre principal outil d’intervention en capital-risque. AVA1 est un fonds thématique qui vise prioritairement deux secteurs : le climat et la santé humaine. Cela inclut, côté climat, les nouveaux matériaux, l’économie circulaire, la gestion durable des ressources comme l’eau et la lutte contre le réchauffement climatique. Côté santé, cela va de la deeptech ou biotech – comme le développement de nouveaux traitements – à des applications de digital health.
Notre thèse d’investissement est large et nous permet de diversifier les modèles d’affaires. Certains projets mettront plusieurs années à émerger, d’autres visent une mise sur le marché plus rapide. Dans tous les cas, nous accompagnons des projets portés par des équipes ambitieuses, capables de se projeter dès le départ dans une logique de passage à l’échelle.
Maxime : Depuis le premier closing du fonds AVA1 à 30 millions d’euros en juillet 2024, nous avons déployé les capitaux à un rythme soutenu, fidèle à notre promesse. Nous avons investi dans 8 sociétés en 12 mois.
Nous avons par exemple investi dans Inside Therapeutics, une biotech installée à Pessac, qui développe une plateforme propriétaire de formulation d’ARN thérapeutique par LNP (lipid nanoparticles). Le projet est porté par une équipe fondatrice expérimentée, mêlant repeat founders dans la biotech, sommités de la microfluidique et scientifiques de renom.
Nous avons également investi dans Curlim, une biotech implantée à Limoges. Elle développe des traitements innovants à base de curcumine pour les neuropathies périphériques, telles que la maladie de Charcot-Marie-Tooth. Le projet est mené par Franck Sturtz, un des cofondateurs de Medincell, biotech cotée à plus de 500 millions d’euros. Curlim illustre bien notre volonté de soutenir des innovations de rupture en santé, tout en consolidant un maillage territorial autour de la recherche biomédicale.
Enfin, nous avons soutenu Speeral, une start-up basée à Nantes qui propose une solution logicielle basée sur l’intelligence artificielle. Elle permet aux enseignes de racheter les produits d’occasion à leurs clients – vêtements, articles retournés, produits légèrement endommagés – pour les revaloriser via des canaux digitaux. Cela répond à une demande croissante pour des modèles économiques circulaires, tout en aidant les retailers à mieux gérer leurs flux de retours ou de stocks dormants.
Ces trois exemples incarnent notre thèse d’investissement autour du climat et de la santé. Ce sont des projets portés par des entrepreneurs expérimentés, ancrés en région, qui visent des marchés de grande ampleur. C’est exactement le type de trajectoires que nous souhaitons accompagner et amplifier.
Maxime : Notre ancrage territorial constitue un levier stratégique majeur, à la fois en phase de sourcing et en phase d’accompagnement post-investissement. Être implantés localement nous permet d’être en prise directe avec l’écosystème entrepreneurial régional. Cela se traduit par une capacité à identifier très tôt les porteurs de projets, parfois même avant la création de la société. Nous passons beaucoup de temps à échanger avec des fondateurs en devenir, à les aider à structurer leur business model, à tester leurs hypothèses, voire à co-construire leur première levée.
Cette proximité, dans le temps comme dans l’espace, ne nous garantit pas systématiquement d’obtenir les deals – la compétition est bien réelle – mais elle nous place au premier rang lorsqu’un tour de table se prépare. C’est un avantage comparatif clair, renforcé par notre capacité à prendre des décisions rapidement.
En phase d’accompagnement, notre ancrage territorial se traduit par une présence forte et régulière aux côtés des équipes. Nous essayons de participer physiquement à tous les conseils d’administration, et nous multiplions les points informels en dehors de ces instances. Cela permet de tisser une relation de confiance avec les fondateurs, d’intervenir de façon réactive au moment où ils en ont le plus besoin – en particulier dans les premiers mois lorsqu’il n’y a encore ni salarié ni produit commercialisable.
C’est également un facteur de réassurance pour les entrepreneurs : savoir que l’on peut solliciter son investisseur rapidement, sans attendre un point mensuel ou un board formel, est souvent décisif à ces stades précoces. Cet accompagnement de proximité, à la fois stratégique, opérationnel et humain, est au cœur de notre proposition de valeur.
Maxime : Au-delà du capital, nous nous positionnons comme un partenaire actif, particulièrement à des stades très précoces où tout reste à construire. Notre accompagnement s’articule autour d’expertises ciblées (IA, blockchain, produit, go-to-market…) via les membres de l’équipe ou des venture partners, sur des sessions de travail en petit comité avec les fondateurs. Nous sommes pragmatiques, en phase avec les itérations propres à l’amorçage qui conduisent parfois à des pivots assez tôt dans la vie des entreprises. Nous restons guidés par une conviction forte sur l’équipe fondatrice. Notre rôle est de leur donner les moyens de réussir — expertise, réseau, soutien opérationnel et confiance.
Maxime : L’ESG fait partie intégrante de notre stratégie d’investissement, à travers les différents métiers d’Aquiti. Nous aidons les dirigeants à structurer une démarche ESG concrète aux objectifs avec des objectifs clairs qui permettront d’améliorer la rentabilité de l’entreprise à moyen-long terme. Nous intégrons ces enjeux assez tôt dans la vie des entreprises tout en restant cohérent avec leur stade de maturité : mise en place d’une charte éthique, bilan carbone à partir d’un certain seuil d’activité, suivi de la mixité au sein des organes de gouvernance, etc. Notre objectif est double : aider les entreprises à devenir responsables par design et rendre compte de ces engagements auprès de nos investisseurs. L’ESG n’est pas un label, c’est un cadre opérationnel qui guide nos décisions.
Maxime : Dès le départ, nous avons fait le choix d’une approche pragmatique et agile. Notre fonds est encore relativement jeune, nous voulions éviter les outils trop lourds ou coûteux, et qui ne font pas de miracle sur le sourcing en pre-seed puisque les bases de données n’existent pas. Nous avons préféré construire en interne des outils sur mesure, alignés avec notre thèse et notre fonctionnement.
Sur la partie sourcing, nous avons développé une base de données propriétaire, nourrie à la fois par des canaux digitaux et des interactions physiques sur le terrain. Nous avons construit un système d’analyse appuyé par des arbres de décision intégrant une première couche d’IA pour gagner du temps sur le screening initial.
En matière de suivi post-investissement, nous utilisons également un outil développé en interne, qui centralise les données clés de nos participations. L’objectif est d’avoir une vision temps réel des indicateurs opérationnels, même dans des structures encore très jeunes.
Cette infrastructure, à la fois technologique et relationnelle, nous permet de gagner en efficacité et en réactivité, tout en gardant une vraie proximité avec les équipes que nous accompagnons.
Maxime : Avec l’élargissement de notre zone d’action au quart sud-ouest de la France, notre flux de dossiers s’est considérablement intensifié. Nous sommes désormais proches du seuil des 1 000 opportunités analysées par an. Ce volume est le fruit d’un travail méthodique de sourcing, combinant présence terrain, animation d’écosystèmes régionaux, et méthodes digitales renforcées par nos outils propriétaires.
Ce flux dense nous permet une sélectivité élevée. Il reflète aussi la montée en puissance de l’écosystème régional, où l’on observe une qualité croissante des projets, y compris en pré-amorçage.
Côté investisseurs, notre base de LPs est diversifiée, avec des acteurs institutionnels régionaux et nationaux ainsi que des entrepreneurs et business angels.
Maxime : Sur l’activité venture, nos priorités actuelles s’articulent autour de deux axes principaux. D’abord, finaliser la levée du fonds AVA1 à 60 millions d’euros. Ensuite, notre ambition est de poursuivre la constitution d’un portefeuille de 20 à 30 participations. Mais au-delà du volume, notre véritable ambition est qualitative : faire émerger des trajectoires solides, permettre à un maximum de start-up accompagnées de franchir le cap de la série A, puis de la série B.
Au-delà de l’activité early-stage, Aquiti a la volonté d’étoffer son offre sur le segment du PE avec la même philosophie : ancrage régional, recherche de performance, qualité d’accompagnement et agilité d’exécution – à travers le lancement d’un nouveau fonds.
Dans un univers où la concentration géographique du capital-risque reste encore marquée, Aquiti incarne une autre voie : celle d’un fonds ancré dans les territoires, mais résolument tourné vers la performance et l’ambition technologique. En combinant agilité d’exécution, ancrage régional et engagements forts en matière d’impact, la société s’affirme comme un acteur structurant du venture en Nouvelle-Aquitaine et au-delà. À travers AVA1, Aquiti entend démontrer qu’il est possible de faire émerger des champions technologiques français en dehors de Paris, en misant sur l’audace des entrepreneurs, la rigueur de l’accompagnement, et la capacité à créer des écosystèmes performants là où on les attendait peu. Une promesse de rééquilibrage, mais surtout une conviction stratégique : l’innovation n’a pas de frontière, pourvu qu’on lui donne les bons alliés dès le départ.