03/11/2025
15 minutes
Depuis plus de quatre décennies, le Groupe Siparex s’impose comme un acteur majeur du capital-investissement français. Né à Lyon, le groupe a bâti sa réputation sur un modèle de proximité avec les dirigeants et une approche résolument humaine de l’investissement. Dans cet échange, Bertrand RAMBAUD, Président du Groupe Siparex, revient sur les origines du groupe, sa philosophie d’accompagnement, ses leviers de croissance et ses ambitions à l’international.
Bertrand RAMBAUD
Président du Groupe Siparex
Bertrand Rambaud : Siparex est né d’un besoin très concret : celui d’apporter des fonds propres aux entreprises industrielles françaises qui, à l’époque, étaient largement sous-capitalisées. Dans les années 1970, cette problématique était centrale. Beaucoup d’entreprises manquaient de moyens pour financer leur croissance, et il fallait créer des structures capables de leur apporter ce soutien.
Siparex a été l’un des premiers acteurs français à être créé par des industriels et des banques qui partageaient cette conviction. Michelin, Peugeot, Rhône-Poulenc ou encore de grandes banques françaises ont voulu, ensemble, créer un acteur capable d’investir dans les entreprises en tant qu’actionnaire minoritaire, avec une approche partenariale. L’objectif n’était pas de prendre le contrôle, mais d’accompagner durablement la croissance. Son dirigeant fondateur était Dominique Nouvellet.
Ce mouvement a marqué le véritable point de départ du capital-investissement en France. À l’époque, le paysage était encore très restreint : quelques acteurs seulement comme 3i et certaines Sociétés de Développement Régional. On pouvait littéralement les compter sur les doigts d’une main. Quand on regarde aujourd’hui la place qu’occupe le private equity dans l’économie, on mesure à quel point cette intuition initiale était juste. Siparex s’inscrit donc dès l’origine dans cette mission : injecter du capital patient pour soutenir la croissance de l’industrie française.
Bertrand Rambaud : Nous avons une particularité essentielle : Siparex est né dans les territoires. Notre histoire a commencé à Lyon avant de s’étendre progressivement à l’ensemble du territoire français, puis à l’international. Cet ancrage local est profondément inscrit dans notre ADN. Il se traduit par une proximité réelle avec les entreprises que nous accompagnons, et une volonté d’investir dans les écosystèmes régionaux où se trouve une grande partie du dynamisme économique français.
Dès l’origine, notre capital a rassemblé des industriels qui sont toujours présents aujourd’hui. Cela a façonné une culture très marquée par la compréhension du monde industriel et par une approche d’accompagnement pragmatique.
Ce que les dirigeants disent souvent de nous, c’est que nous sommes présents, à l’écoute, et que notre accompagnement est sur mesure. Bien sûr, notre métier reste celui d’un investisseur : nous apportons des fonds propres et nous cherchons à générer de la performance par la création de valeur. Mais nous le faisons avec une approche différente, à la fois exigeante et bienveillante. Cette combinaison, exigeante dans la rigueur mais bienveillante dans la relation, fait partie de notre identité et correspond à ce que recherchent les dirigeants que nous soutenons.
Bertrand Rambaud : Le Groupe Siparex repose sur une plateforme complète qui couvre l’ensemble du cycle de vie des entreprises, de la start-up à l’ETI. Nous avons aujourd’hui six lignes de métiers diversifiées qui s’articulent de manière cohérente.
Historiquement, notre cœur d’activité consiste à investir dans des PME et des ETI françaises et européennes confrontées à des enjeux de transmission ou de croissance. Nous ne suivons pas une approche strictement sectorielle, même si certains domaines retiennent plus particulièrement notre attention. Cette vision nous permet d’adresser un large éventail d’entreprises, tout en restant proches de leurs réalités économiques.
En parallèle, nous avons développé deux expertises sectorielles fortes. La première concerne la Tech et l’intelligence artificielle, à travers notre stratégie d’investissement dans les start-up (XAnge). Ce positionnement répond à la fois à une dynamique d’opportunités évidente et à une logique d’acculturation : ces jeunes entreprises nourrissent nos réflexions et inspirent les PME et ETI que nous accompagnons. La seconde expertise est liée à la transition énergétique, un enjeu incontournable qui se traduit notamment par nos investissements dans les énergies renouvelables, ainsi que dans le nucléaire.
Enfin, notre offre s’est élargie à différents types de financements. Être actionnaire, majoritaire ou minoritaire, reste notre cœur de métier, mais nous proposons également des solutions hybrides, comme la mezzanine, adaptées aux besoins spécifiques de certaines entreprises. Notre objectif est de pouvoir offrir à chaque dirigeant la solution qui correspond le mieux à sa situation, qu’elle soit sectorielle, stratégique ou financière.
Cette organisation s’appuie sur une équipe opérationnelle transversale qui intervient pour accompagner concrètement les entreprises dans leurs enjeux de transformation digitale, d’innovation ou de transition énergétique. Cela permet d’assurer un accompagnement en profondeur, cohérent entre nos différentes lignes de métier.
Bertrand Rambaud : Un exemple que j’aime beaucoup citer est celui de Clayens, anciennement Nief, car il illustre parfaitement notre philosophie d’accompagnement dans la durée.
Nous avons d’abord accompagné cette entreprise familiale dans une première phase de croissance. Plusieurs années plus tard, la société a été cédée à un groupe indien. Le fondateur est resté quelque temps pour assurer la transition, avant que le management local ne prenne la relève.
Quelques années plus tard, ce groupe indien a connu des difficultés et a décidé de céder certaines de ses activités, dont Clayens. Nous avons alors saisi cette opportunité et racheté l’entreprise avec le dirigeant en place, Eric PISANI. Ce dernier, qui était auparavant responsable d’une business unit, est devenu entrepreneur à part entière.
C’est une transformation remarquable : ce manager a su faire grandir l’entreprise en menant une stratégie de développement ambitieuse, notamment par croissance externe en Europe puis sur le continent américain. En quelques années, Clayens est passé d’environ 200 millions d’euros de chiffre d’affaires à plus de 800 millions, et s’est imposé comme un acteur industriel international présent en Europe, aux États-Unis et en Amérique du Sud.
Nous avons ensuite cédé la majorité du capital au fonds américain One Equity Partners, tout en restant actionnaires. C’est une belle réussite, à la fois financière et humaine. Ce que je trouve le plus fort dans cette histoire, c’est la révélation d’un vrai talent entrepreneurial. Sans ce type d’accompagnement, ce dirigeant n’aurait peut-être jamais découvert cette fibre d’entrepreneur qu’il avait en lui. Cela démontre toute la valeur du capital-investissement : au-delà du financement, il permet de révéler des potentiels et de faire émerger des champions européens, même dans des secteurs industriels dits traditionnels.
Bertrand Rambaud : Effectivement, l’année 2025 est une période charnière pour nous sur le plan des levées de fonds. Le contexte du marché n’est pas simple : lever des capitaux est devenu plus long et plus exigeant pour tous les acteurs. Malgré cela, nous avons réussi à impulser une dynamique très positive.
Depuis le début de l’année, nous avons levé environ 600 millions d’euros, ce qui est une belle performance pour un groupe qui gère un peu plus de 4 milliards d’euros. Ces levées concernent plusieurs de nos activités : la mezzanine, l’activité Entrepreneurs dédiée aux petites PME, le venture capital, ainsi que la deuxième génération de fonds dédiée à la filière nucléaire.
Dans notre métier, le premier closing est toujours une étape décisive. C’est la phase la plus difficile, celle qui valide la confiance des investisseurs et qui permet de commencer à investir. Une fois ce cap franchi, les choses s’enchaînent plus naturellement. Ces premiers closings sont donc essentiels : ils donnent de la visibilité, du rythme à nos équipes et prouvent la solidité de notre modèle.
Nous en sommes très satisfaits, d’autant plus que ces fonds ne sont pas des créations ex nihilo. Ils s’inscrivent dans une continuité, une succession de générations de fonds qui témoignent de la confiance renouvelée de nos investisseurs. Notre réussite s’explique essentiellement par la pertinence de nos stratégies, la performance délivrée, la cohérence de notre offre et la fidélité de nos partenaires historiques.
Bertrand Rambaud : Nos investisseurs sont très diversifiés, et c’est l’une de nos forces. Nous comptons d’abord un grand nombre d’institutionnels français : des banques, des compagnies d’assurance, des caisses de retraite. Ces acteurs apprécient notre modèle parce qu’il repose sur des portefeuilles d’investissement résilients et des distributions régulières, ce qui correspond bien à leurs attentes de long terme.
Nous travaillons également avec des investisseurs internationaux, même si leur part reste encore à renforcer. Aujourd’hui, environ 80 % de nos souscripteurs sont basés en France, contre 20 % à l’étranger. Cette proportion se renforce chaque année et nous allons l’accélérer.
Par ailleurs, nous avons une forte présence d’investisseurs familiaux. Environ 25 à 30 % de nos levées proviennent de family offices ou d’entrepreneurs individuels, parfois d’anciens dirigeants que nous avons accompagnés et qui décident ensuite d’investir à nos côtés. Cette proximité entre entrepreneurs crée une vraie communauté d’investisseurs partageant les mêmes valeurs.
Enfin, notre groupe bénéficie du soutien d’un cercle de partenaires historiques, constitué d’industriels et d’institutionnels de référence, rassemblés dans le holding Siparex Associés – présidé par Yves Chapot cogérant de Michelin -, qui est actionnaire de Siparex aux côtés des Partners du Groupe. Ils jouent un rôle de “sponsors” dans nos levées de fonds, en apportant dès le départ un engagement significatif qui donne confiance et crédibilité à nos démarches. Cette structuration est un atout considérable dans un contexte de marché exigeant.
Enfin, nous développons également une offre accessible aux particuliers, notamment à travers des produits diffusés via l’assurance-vie ou les conseillers en gestion de patrimoine. Ces solutions permettent à des investisseurs individuels de participer à nos fonds, via des unités de compte, et d’être indirectement présents sur l’ensemble de nos stratégies.
Bertrand Rambaud : L’intégration des critères ESG fait partie de notre démarche depuis plusieurs années. Nous l’avons structurée de manière concrète et progressive, autour d’une véritable feuille de route. Celle-ci repose sur plusieurs axes : la décarbonation, la mixité et la parité, ainsi que le partage de la valeur au sein des entreprises que nous accompagnons.
Pour chaque participation, nous définissons des objectifs précis et des indicateurs mesurables, que nous suivons chaque année. L’idée n’est pas d’imposer des contraintes mais de proposer un accompagnement opérationnel. C’est dans cet esprit que nous avons mis en place une équipe dédiée, qui travaille directement avec les dirigeants pour les aider à structurer leurs plans d’action et à en mesurer les résultats.
Au-delà du suivi, nous avons également introduit des mécanismes d’incitation. Une partie de la rémunération des gestionnaires de fonds, mais aussi des dirigeants des entreprises dans lesquelles nous investissons, est désormais indexée sur la performance ESG. Cela crée une implication collective et renforce la cohérence de la démarche.
Enfin, nous produisons un reporting complet à destination de nos investisseurs, qui permet de suivre les progrès réalisés sur ces sujets. Aujourd’hui, cela fait partie intégrante de nos obligations, au même titre que la publication de comptes financiers. Mais au-delà de la conformité, nous y voyons surtout un levier d’amélioration continue, au service de la performance durable des entreprises que nous soutenons.
Bertrand Rambaud : Le métier d’investisseur a beaucoup évolué ces dernières années. À mes débuts, il reposait essentiellement sur une approche essentiellement financière, presque exclusivement centrée sur l’analyse de données et les modèles de valorisation. Aujourd’hui, il est devenu beaucoup plus opérationnel.
Nos équipes interviennent désormais aux côtés des dirigeants sur des sujets très concrets : le renforcement des équipes de management, la structuration de la gouvernance, la mise en œuvre de croissances externes. Nous restons investisseurs, pas opérateurs, mais notre rôle est de plus en plus proche du terrain. Cette évolution change profondément notre façon d’accompagner les entreprises.
En parallèle, la donnée et l’intelligence artificielle jouent un rôle croissant dans nos processus. Ces outils nous aident à identifier de nouvelles opportunités d’investissement, à collecter et analyser des informations plus rapidement, et à effectuer des pré-analyses financières plus fines. Nous testons aujourd’hui différents cas d’usage, notamment pour automatiser certaines étapes de la recherche et du traitement de la donnée.
Je considère l’IA comme une forme “d’assistant” au service de l’investisseur : un outil disponible en permanence, qui nous permet d’aller plus vite, de gagner en efficacité et d’optimiser la réactivité dans un environnement très concurrentiel. Dans notre métier, la capacité à comprendre rapidement un dossier et à formuler une offre pertinente est un facteur clé de succès.
Nous n’en sommes qu’au début, mais je suis convaincu que ces technologies auront un impact encore plus fort demain, notamment dans les domaines juridique et financier. Dans un an, notre utilisation de l’IA sera probablement bien plus intégrée et structurée qu’aujourd’hui. C’est une évolution naturelle, et surtout une formidable opportunité de transformation pour notre industrie.
Bertrand Rambaud : À court terme, notre priorité est de réussir nos levées de fonds. C’est un exercice toujours exigeant, surtout dans le contexte actuel, mais nous avançons dans la bonne direction. Chaque ligne de métier doit continuer à croître, à franchir des seuils de taille pour disposer de plus de moyens d’investissement et renforcer notre position auprès des entreprises que nous accompagnons.
Nous voulons renforcer nos six métiers, sans changer la nature de nos cibles, mais avec une capacité d’action accrue. L’objectif est de pouvoir intervenir plus fortement au capital, de mieux accompagner les dirigeants au quotidien et de poursuivre notre développement organique.
À moyen terme, nous travaillons sur l’élargissement de notre plateforme. Cela peut passer par le lancement de nouveaux produits, l’ouverture à de nouvelles expertises ou encore une accélération de notre présence à l’international. Nous sommes déjà implantés dans plusieurs pays – notamment en Italie, en Allemagne, en Belgique et au Canada – et nous souhaitons intensifier cette dynamique.
Mon ambition est claire : faire grandir le groupe à la fois en profondeur, en consolidant nos métiers existants, et en largeur, en développant de nouvelles expertises et de nouveaux marchés. Le private equity est un secteur en pleine transformation ; il faut savoir saisir les opportunités qui se présentent pour continuer à être un acteur de référence, ancré dans la réalité économique mais tourné vers l’avenir.
Avec près de 50 ans d’histoire, Siparex incarne un modèle d’investissement fondé sur la proximité, la durabilité et la confiance. Né d’une volonté collective d’industriels et de banquiers visionnaires, le groupe a su conserver son ADN d’acteur de terrain tout en s’adaptant aux mutations du marché et aux nouveaux enjeux économiques, technologiques et environnementaux. Sous l’impulsion de son président Bertrand Rambaud, Siparex poursuit sa trajectoire de croissance en affirmant une double ambition : renforcer son rôle d’accélérateur de croissance pour les entreprises et poursuivre son développement international. Dans un environnement où la finance de long terme doit prouver son utilité, le groupe démontre qu’un capital patient, exigeant et bienveillant peut être un véritable moteur de transformation pour les entreprises et un facteur de performance pour les clients investisseurs. Siparex continue ainsi de tracer sa voie : celle d’un investisseur engagé, au service de l’économie réelle et des entrepreneurs qui la font grandir.