15/10/2025
15 minutes
Fondé en 2021, Ankaa Ventures s’impose comme un asset manager multi-stratégie, avec une vision internationale et une forte conviction autour de la convergence entre venture capital, dette privée et infratech. Dans cet entretien, Damien Pierron, Founding Partner, revient sur la genèse du fonds, sa thèse d’investissement et ses ambitions pour les prochaines années.
Damien PIERRON
Founding Partner chez Ankaa Ventures
Damien : L’idée derrière Ankaa Ventures était de pratiquer l’asset management différemment. Nous nous positionnons comme un asset manager multi-stratégie, actif en venture capital, dette privée et infratech. Le constat était clair : la spécialisation croissante des fonds limitait leur capacité à accompagner des projets hybrides ou atypiques. Nous avons donc voulu bâtir une plateforme flexible, capable de mobiliser l’outil le plus pertinent (equity ou dette) en fonction des besoins réels de l’entreprise et de son stade de maturité.
Dès le lancement, nous avons aussi fait le choix d’une organisation internationale. Mon associé est basé à Paris, moi à Dubaï, nous avons une équipe à Munich et prévoyons une implantation à Londres à court terme. Cette configuration nous permet d’opérer au cœur des principaux hubs européens tout en bénéficiant d’un accès stratégique au Moyen-Orient, où les investisseurs institutionnels et les grands groupes sont très actifs sur nos thématiques d’investissement.
Damien : Nous concentrons notre activité venture sur trois grandes thématiques : la data et les services financiers, la décarbonation et la transition énergétique, ainsi que le capital humain et la santé. Dans ces domaines, nous recherchons des projets à forte scalabilité internationale, où la technologie constitue un véritable différenciateur et où l’impact environnemental ou social est intégré dès la conception.
Le critère décisif reste cependant les fondateurs : nous privilégions des entrepreneurs capables d’allier ambition et discipline d’exécution, de résister aux cycles de marché et d’attirer des talents autour d’eux. À l’inverse, certains signaux nous amènent à refuser un projet, comme l’absence de vision internationale, une gouvernance fragile ou une dépendance excessive à des subventions ou à un client unique.
Nous opérons par ailleurs via deux fonds mono-investisseurs : l’un pour un hedge fund qui déploie une stratégie de corporate venture, l’autre pour un fonds de VC late-stage qui nous confie une poche dédiée à l’early-stage. Dans les deux cas, nous enrichissons leur stratégie en identifiant des projets prometteurs plus jeunes, tout en appliquant la rigueur propre au venture capital.
Damien : Nous ne cherchons pas à couvrir tout le spectre de manière uniforme, mais plutôt à identifier les points de convergence entre ces univers. Historiquement, l’infrastructure signifiait autoroutes ou ponts ; aujourd’hui, elle se confond avec la technologie. Les datacenters, les batteries ou les bornes de recharge sont des enjeux d’infrastructure mais aussi des sujets technologiques. De la même manière, la greentech, l’IA ou la fintech nourrissent des usages qui, tôt ou tard, nécessitent une capacité de déploiement à grande échelle.
Notre rôle est précisément d’accompagner cette transition : certains projets naissent dans le venture, avec un risque technologique élevé, puis deviennent des enjeux d’infrastructure dès lors qu’ils atteignent une maturité et une échelle suffisantes. L’exemple des bornes de recharge est parlant : au départ, c’était un sujet de venture capital, centré sur l’innovation technologique et les premiers pilotes. Aujourd’hui, la question n’est plus la faisabilité mais le déploiement massif à l’échelle nationale et européenne, qui relève clairement de l’infrastructure. C’est exactement ce type de trajectoire que nous voulons soutenir.
Damien : Un premier exemple marquant est Alteia , une société française spécialisée dans l’intelligence artificielle appliquée aux jumeaux numériques. Concrètement, sa technologie permet de surveiller des réseaux électriques à distance et d’anticiper la maintenance : détecter un arbre menaçant une ligne ou un pylône en train de rouiller, par exemple. Initialement en recherche d’equity, la société faisait face à des exigences trop importantes de la part des VC, entraînant une dilution excessive pour les fondateurs. Nous avons pu l’accompagner en dette privée, en structurant un financement adapté à sa rentabilité et à ses besoins de croissance. Quelques mois plus tard, Alteia a été rachetée par General Electric, ce qui a permis un remboursement anticipé. Cet investissement illustre bien notre capacité à mobiliser la dette comme alternative à l’equity, afin de protéger les entrepreneurs tout en sécurisant la création de valeur.
Un second exemple est Aria , une fintech spécialisée dans le factoring pour freelances. Sa mission est simple mais cruciale : permettre aux indépendants d’être payés immédiatement après leur mission, plutôt que d’attendre les délais de paiement souvent supérieurs à 30 ou 45 jours imposés par les grands groupes. Leur modèle a rapidement séduit des plateformes comme Malt, et nous avons choisi d’investir en equity, tout en les accompagnant dans la structuration de leur financement. Cet investissement illustre notre capacité à comprendre non seulement le modèle business mais aussi les besoins en funding, un point critique pour leur marge et leur compétitivité.
Enfin, je citerais Klara , une HR Tech dédiée aux cols bleus. Là où de nombreuses solutions RH ciblent les cadres et les talents à haut potentiel, Klara propose un outil de formation et de montée en compétences pour les techniciens, agents et employés de terrain, qui représentent pourtant la majorité de la main-d’œuvre des grands groupes. Sa proposition de valeur a trouvé un écho immédiat auprès des entreprises du CAC 40 et au-delà. Cet investissement illustre parfaitement notre conviction que l’innovation RH doit s’adresser à l’ensemble des salariés, et pas uniquement à une élite.
Damien : Hi Inov fait partie de nos clients institutionnels et le partenariat a été structuré sous forme de mandat de conseil. Concrètement, nous avons pour rôle d’identifier et d’analyser des opportunités au stade de l’amorçage qui sont encore trop jeunes pour leur stratégie principale d’investissement en Série A, mais éligibles à la poche d’amorçage de leur fonds. Leur logique est très claire : mieux connaître les startups avant d’investir en série A. Lorsqu’elles arrivent à ce stade, Hi Inov dispose déjà d’un historique avec les fondateurs, d’une relation de confiance et d’une compréhension fine du modèle : Hi inov peut alors se positionner sur un investissement en Série A très en amont du road show de levée de fonds, ce qui est très précieux pour les fondateurs.
Pour nous, ce partenariat a été l’occasion de renforcer notre présence en France et en Allemagne, leurs deux zones d’ancrage stratégiques. En un an, nous avons déjà co-investi dans plusieurs startups ensemble. La collaboration fonctionne bien car elle repose sur une complémentarité forte : nous apportons notre savoir-faire de sourcing et d’analyse en amorçage, tandis qu’ils capitalisent sur leur expérience et leur réseau pour accompagner ces startups lors de leur passage à l’échelle.
C’est une relation gagnant-gagnant, qui illustre notre volonté de créer des ponts entre les acteurs du marché, plutôt que d’opérer en vase clos.
Damien : Sepia Infrastructure est un projet emblématique de notre stratégie InfraTech. Il ne s’agit pas seulement de réduire l’empreinte énergétique des data centers, mais de combler un retard structurel de l’Europe face aux États-Unis dans la construction de très grands sites, notamment ceux dédiés à l’intelligence artificielle. Aux États-Unis, certains projets atteignent un gigawatt et sont directement alimentés par le nucléaire. En Europe, nous avons la volonté d’atteindre ce niveau d’ambition, mais avec une exigence supplémentaire : le faire en respectant nos engagements environnementaux.
Le fondateur de Sepia a une expérience unique : il a dirigé la construction des data centers de Google, ce qui en fait l’un des rares experts mondiaux capables de déployer de tels sites. L’objectif est de bâtir des infrastructures de nouvelle génération, intégrées localement, alimentées en énergie verte et conçues pour réutiliser la chaleur fatale, par exemple pour chauffer des équipements publics voisins. Cette approche “à l’européenne” combine performance technologique, durabilité et acceptabilité sociale.
Les défis sont nombreux. La régulation est complexe, car ces projets impliquent une coordination étroite avec les autorités locales et nationales. Les coûts sont considérables et nécessitent de structurer des financements sur le long terme, souvent adossés à des contrats de location de 30 ans avec des acteurs comme les géants américains de la Tech. Enfin, il existe un enjeu de confiance publique : ces infrastructures doivent démontrer qu’elles créent de la valeur au niveau local et non uniquement pour des acteurs globaux.
Sepia illustre parfaitement notre approche multistratégie : un projet né dans le monde du venture, mais qui trouve sa pleine dimension en se finançant comme une infrastructure. C’est dans ce type de convergence que nous voyons l’avenir de l’investissement.
Damien : Nos thématiques d’investissement intègrent par nature une forte dimension ESG. La décarbonation et le capital humain sont directement alignés avec les priorités européennes en matière d’impact. Même si la dimension est moins évidente dans la data ou la fintech, nous restons attentifs à la contribution de chaque projet au développement durable.
Concrètement, nous réalisons une due diligence ESG systématique au moment de l’investissement, souvent avec l’appui de prestataires externes. Ensuite, nous définissons des indicateurs clés de performance (KPIs) qui sont suivis tout au long de la durée de détention. L’objectif n’est pas seulement de cocher des cases réglementaires, mais de s’assurer que les sociétés intègrent un véritable chemin d’amélioration dans leur stratégie.
Nous aimons particulièrement accompagner des projets où l’impact est au cœur de la proposition de valeur. Je pense par exemple à Trace for Good, qui a développé un logiciel de traçabilité des chaînes d’approvisionnement. Cet outil permet aux entreprises d’identifier en plus de leurs fournisseurs directs (rang 1) ceux situés plus en profondeur dans la chaîne (rang 2, rang N). Cela permet de détecter des risques liés au travail des enfants, à l’utilisation de matériaux toxiques ou à des pratiques non conformes, et d’agir en conséquence. C’est une illustration parfaite de l’impact positif que la technologie peut avoir, en combinant transparence, conformité et durabilité.
Bien sûr, le contexte de marché peut parfois être volatil, et certaines thématiques ESG souffrent à court terme. Mais nous restons convaincus qu’en Europe, l’impact n’est pas une tendance passagère : c’est une conviction de long terme et un moteur d’innovation que nous voulons continuer à porter.
Damien : Notre base d’investisseurs repose aujourd’hui sur une combinaison d’acteurs institutionnels et privés. Nous travaillons notamment avec des hedge funds et des fonds de venture capital qui nous confient des mandats spécifiques. C’est le cas par exemple d’un hedge fund pour lequel nous déployons une stratégie de corporate venture afin de créer des synergies avec son activité principale, et d’un fonds de VC late-stage qui nous a confié une poche pour investir plus en amont dans des projets early-stage.
À côté de ces acteurs, nous sommes également soutenus par des family offices et des investisseurs privés qui cherchent à diversifier leurs allocations en s’exposant à des thématiques innovantes comme la greentech, l’IA ou l’infratech. Certains de nos LPs apportent aussi une réelle expertise sectorielle : leur réseau, leur compréhension des marchés et leur expérience opérationnelle sont des atouts précieux pour nos participations.
Nous ne voyons donc pas nos LPs uniquement comme des pourvoyeurs de capitaux, mais comme de véritables partenaires stratégiques. Ils nous aident à détecter des opportunités, à valider certaines convictions et parfois même à ouvrir des portes commerciales aux startups de notre portefeuille. Cette proximité est un élément différenciant dans notre approche.
Damien : Nous intégrons de plus en plus de technologie dans nos processus, avec deux objectifs : gagner en efficacité et accroître la précision de nos analyses.
Sur le sourcing, nous utilisons largement l’automatisation et l’intelligence artificielle. Les grands modèles de langage (LLM) se révèlent très efficaces pour cartographier rapidement un marché, identifier des concurrents ou analyser un produit. Cela permet de détecter plus tôt des signaux faibles et de repérer des startups prometteuses. Nous explorons également des solutions plus sophistiquées, allant au-delà du simple prompt engineering, pour structurer de manière intelligente de grands volumes de données.
En due diligence, l’automatisation joue un rôle clé, en particulier sur la dette privée. Le scoring crédit des emprunteurs peut désormais être en grande partie automatisé, ce qui accélère la prise de décision tout en renforçant la fiabilité.
Enfin, sur le suivi des participations, nous développons nos propres outils. Dans la dette, il est crucial de monitorer en temps réel les covenants financiers, la performance opérationnelle et le niveau de couverture du collatéral. Nous travaillons avec des prestataires externes, mais développons aussi en interne pour gagner en agilité et en efficacité.
Notre vision est celle d’une petite équipe internationale, mais augmentée par la technologie. C’est ce qui nous permet de rester compétitifs, de couvrir plusieurs géographies et d’offrir un accompagnement rigoureux à nos participations, sans multiplier les ressources humaines.
Damien : Nos ambitions s’articulent autour de trois axes. D’abord, poursuivre le développement de nouvelles stratégies. Nous croyons fortement au modèle multistratégie, qui permet de créer des synergies entre venture capital, dette et infrastructure. Demain, cela pourrait s’étendre à des stratégies comme le mid-cap LBO, pour accompagner des startups arrivées à un stade de maturité où l’hypercroissance n’est plus l’objectif principal, mais où une trajectoire de PME rentable et génératrice de dividendes devient pertinente.
Ensuite, renforcer notre internationalisation. Nous sommes aujourd’hui très ancrés en Europe, mais nous développons de plus en plus nos activités aux États-Unis, en particulier sur la dette. Ce marché est plus structuré et plus mécanique, mais il existe une réelle complémentarité entre l’Europe et les États-Unis, notamment dans la recherche et la commercialisation de nouvelles technologies. Nous pensons par exemple au quantum computing : de nombreux projets européens émergent dans ce domaine, mais leur avenir dépend en partie de leur capacité à pénétrer le marché américain. Notre rôle est d’accompagner cette transition.
Enfin, continuer à croître en tant qu’équipe. Nous sommes aujourd’hui une dizaine de personnes et avons déjà renforcé nos effectifs en 2025. Nous prévoyons encore des recrutements, notamment côté dette privée et relations investisseurs. Nous restons un “startup asset manager” : par construction, nous grandissons et structurons progressivement l’organisation, tout en gardant l’agilité qui fait notre force.
Au-delà des chiffres et des stratégies, notre ambition est aussi de donner du sens à ce que nous faisons. Être un asset manager indépendant nous permet de choisir nos sujets et de privilégier ceux qui nous paraissent essentiels pour l’avenir : transition énergétique, capital humain, innovation technologique. C’est cette cohérence entre performance et purpose qui guide notre feuille de route.
Ankaa Ventures illustre une nouvelle génération d’asset managers : multi-stratégie, international dès sa création, et profondément ancré dans l’innovation et l’impact. En réconciliant venture, dette et infrastructure, le fonds se positionne à la frontière entre le monde d’hier et celui de demain. Sa capacité à s’adapter aux besoins réels des entrepreneurs, à mobiliser l’outil d’investissement le plus pertinent et à s’appuyer sur une vision internationale en fait un acteur singulier dans l’écosystème européen. Plus qu’un investisseur, Ankaa Ventures veut être un bâtisseur d’avenir, à la fois performant et porteur de sens.