De MAIF Avenir à Ternel : l’essor d’un fonds indépendant dédié à l’impact

02/10/2025

10 minutes

Né de la transformation de MAIF Avenir en fonds indépendant, Ternel s’impose comme un acteur original du capital-risque. Porté par une équipe stable depuis 2017 et désormais adossé à Capital Croissance, le fonds revendique un ADN résolument tourné vers l’impact, tout en gardant une exigence forte en matière de performance. Nous avons échangé avec Timothée POULAIN, Partner chez Ternel, pour comprendre les raisons de cette évolution, la vision qui anime le fonds et les perspectives pour les prochaines années.

Timothée POULAIN

Partner chez Ternel

Ternel est né de la transformation de MAIF Avenir en fonds indépendant. Pouvez-vous revenir sur les raisons de cette évolution et ce que vous cherchiez à accomplir avec cette nouvelle identité ?

Timothée : Cette transformation est avant tout une évolution. MAIF Avenir avait été créé en 2015 comme fonds de corporate venture, avec l’objectif d’investir dans la sharing economy et la deep tech en lien avec les activités du groupe. Lorsque nous avons rejoint l’équipe en 2017, nous avons progressivement fait évoluer la stratégie de concert avec MAIF, vers un modèle de fonds de capital-risque, enrichi d’une forte ambition sur l’impact.

Avec le temps, deux enjeux se sont imposés : renforcer la compétitivité du fonds et assurer la pérennité de l’équipe. Pour y répondre, nous avons repensé la marque, l’alignement de l’équipe avec la performance, et notre dispositif d’accompagnement. Avec 150 millions d’euros sous gestion, il est difficile de maintenir une forte exigence sur l’accompagnement.

L’adossement à Capital Croissance a apporté cette nouvelle dimension. La plateforme rassemble plus de 550 entrepreneurs investisseurs et dispose de moyens significatifs pour renforcer l’équipe. Cela nous permet d’offrir à nos clients un accompagnement stratégique et opérationnel beaucoup plus solide, tout en évoluant dans un environnement compétitif et durable.

Quelle est la vision et l’ADN de Ternel aujourd’hui ? Qu’est-ce qui vous différencie sur le marché du capital-risque ?

Timothée : Notre vision repose sur l’idée qu’il n’existe pas d’impact réel sans performance économique. Nous cherchons donc à conjuguer en permanence ces deux dimensions. Pour cela, nous avons construit une approche de l’impact qui se veut holistique : nous analysons systématiquement la contribution d’une entreprise à l’environnement, à l’humain et à la société, et nous veillons à ce qu’aucune de ces dimensions ne soit sacrifiée au profit des autres. Cette méthodologie est soutenue par un outil interne qui nous permet d’évaluer concrètement l’ampleur et la qualité de l’impact généré par chaque projet.

Le deuxième élément clé de notre ADN est notre ouverture à la fois au software et au hardware. Nous sommes convaincus que les grandes transitions exigent aussi des innovations matérielles. C’est particulièrement vrai dans des secteurs comme la Climate Tech, où de nouvelles solutions industrielles doivent être déployées, mais aussi dans la santé, où le hardware et le software se conjuguent depuis longtemps pour permettre de véritables avancées. Nous pensons que les projets les plus transformateurs se situent justement à l’intersection de ces deux mondes.

Le troisième élément, concerne notre ambition sur l’accompagnement. Grâce à Capital Croissance, nous disposons aujourd’hui des moyens humains et financiers pour offrir un suivi structuré, qu’il s’agisse d’appui stratégique, de soutien opérationnel ou de travail sur les enjeux ESG et impact.

Enfin, nous assumons une approche lucide du marché européen : une part importante du volume des sorties y est majoritairement réalisé par des acteurs du buy-out ou soutenus par des fonds de buy-out . La valeur médiane des sorties est incomparable avec celle du marché nord américain. Cela nous conduit à construire un modèle de fonds où des trajectoires solides et pérennes en termes de croissance et de rentabilité sont nécessaires pour une grande majorité du portefeuille. Par ailleurs, pour les plus performantes d’entre-elles, nous continuons de nourrir une forte ambition et travaillons à des trajectoires agressives de conquête pour qu’elles soient les “outliers” de notre portefeuille.

Votre thèse d’investissement met en avant des entreprises à impact positif. Pouvez-vous partager quelques exemples emblématiques ?

Timothée : Cette thèse se reflète dans plusieurs investissements récents. En Espagne, nous avons soutenu Strong by Form , une société de néomatériaux qui s’inspire de l’architecture des fibres de bois pour concevoir des matériaux légers, flexibles et résistants, adaptés aux standards de la construction. En réduisant l’empreinte carbone et financière du secteur de la construction, elle illustre parfaitement le caractère transformatif que le hardware peut représenter.

Avec Iceberg Data Lab , nous avons misé sur une approche logicielle. La société fournit aux gestionnaires d’actifs des outils pour mesurer l’impact climat et biodiversité de leurs portefeuilles. Ses solutions s’imposent comme un standard émergent pour les acteurs financiers qui doivent intégrer de plus en plus finement les enjeux extra-financiers dans leurs décisions.

Enfin, Dune Health illustre notre engagement sur le versant santé. Cette entreprise, implantée entre la France et les États-Unis, exploite les données issues des objets connectés pour détecter précocement certaines maladies chroniques. Elle combine ainsi santé digitale et innovation médicale au service d’une meilleure prise en charge des patients.

Ces exemples traduisent notre conviction : l’impact naît de la rencontre entre technologie et viabilité économique, dans des secteurs clés comme la construction, la finance durable, l’énergie ou la santé.

Qui sont aujourd’hui vos principaux LPs et comment contribuent-ils à façonner votre stratégie d’investissement et votre accompagnement des startups ?

Timothée : Nos deux premiers fonds sont sponsorisés par MAIF, qui demeure un partenaire central et fidèle à son engagement historique en faveur de l’impact. Mais notre ouverture s’est élargie grâce à l’intégration au sein de Capital Croissance, qui réunit plus de 550 investisseurs privés, principalement des entrepreneurs et des familles, aux côtés de dix institutionnels de premier plan (Bpifrance, Ardian, LGT, Covea, BNPP, Committed Advisor, etc.) qui nous ont permis fortement d’accélérer ces dernières années.

Leur rôle est concret et précieux. En phase de pré-investissement, ils apportent leur expertise sectorielle et fonctionnelle pour affiner notre compréhension des marchés. Par exemple, lorsqu’un entrepreneur LP a bâti son succès dans le solaire, il peut nous aider à analyser une startup spécialisée dans la gestion et l’optimisation des fermes solaires : compréhension de la chaîne de valeur, des cycles de mise en production, et un accès rapide aux décideurs.

En post-investissement, cette communauté devient un levier d’accompagnement pour nos participations. Cela peut prendre la forme d’un appui commercial, de conseils stratégiques, ou encore du recrutement d’administrateurs indépendants qualifiés. Parallèlement, nous bénéficions de ressources internes dédiées à l’impact et à l’ESG, qui accompagnent nos startups dans leur transition et renforcent leur crédibilité auprès de futurs investisseurs ou acquéreurs.

En somme, nos LPs ne sont pas de simples apporteurs de capitaux : ils enrichissent notre stratégie et contribuent directement à la création de valeur pour les entreprises que nous soutenons.

En tant qu’ancien véhicule de corporate venture, Ternel conserve-t-il une spécificité par rapport aux fonds purement financiers ? Comment cela influence-t-il votre manière d’accompagner les fondateurs ?

Timothée : Nous ne revendiquons plus une identité de corporate venture. Les deux premiers fonds restent liés à la MAIF, mais notre mission est aujourd’hui celle d’un fonds qui se fixe de fortes ambitions en termes de performance financière et extra-financière.

Cela dit, l’expérience acquise au sein d’un véhicule corporate constitue un atout. Pendant huit ans, nous avons appris à travailler avec des grandes organisations, à comprendre leurs besoins, leurs attentes et parfois leurs limites. Cette expérience nourrit notre accompagnement des fondateurs, notamment lorsqu’il s’agit d’interagir avec des acteurs corporate qui peuvent être clients, partenaires ou investisseurs stratégiques.

Nous ne sommes pas un fonds corporate, mais nous conservons une connaissance fine de cet univers, qui nous permet d’apporter un accompagnement pertinent aux entrepreneurs que nous soutenons.

Vous avez annoncé en avril 2024 la création d’un nouveau véhicule d’investissement de 120 millions d’euros. Un an après, où en êtes-vous du déploiement et quelles priorités stratégiques guident vos choix ?

Timothée : Il ne s’agissait pas d’un unique véhicule de 120 millions d’euros, mais de deux fonds distincts totalisant environ 150 millions d’euros. L’un est encore en phase active d’investissement, et nous maintenons un rythme soutenu avec sept nouvelles opérations réalisées au cours des quinze derniers mois.

Au total, notre portefeuille compte aujourd’hui 29 participations. Les priorités restent claires : sur le plan environnemental, nous ciblons les innovations qui répondent à la raréfaction des ressources et aux enjeux liés au climat et à la biodiversité ; sur le plan social, nous nous concentrons sur le capital humain (formation, éducation, future of work) ainsi que sur la santé et les technologies médicales.

Ces deux axes structurent nos décisions et traduisent notre conviction : la création de valeur durable passera par des solutions capables de transformer profondément les secteurs clés de la transition écologique et sociétale.

Le métier d’investisseur évolue rapidement. Quelles technologies ou méthodes utilisez-vous aujourd’hui pour optimiser vos processus de sourcing, d’évaluation ou d’accompagnement ?

Timothée : Nous utilisons de plus en plus l’automatisation et l’intelligence artificielle pour renforcer notre productivité. Concrètement, cela passe par de la veille automatisée, du scrapping de données et des outils capables de détecter des signaux faibles, que ce soit sur l’émergence de nouveaux projets ou sur des tendances sectorielles. L’IA nous aide aussi à structurer l’information et à la diffuser efficacement dans nos outils, ce qui fluidifie le travail en équipe.

En pratique, cela nous permet de suivre environ 1 500 à 2 000 dossiers par an. Une centaine sont analysés de manière approfondie, ce qui conduit à une douzaine de comités d’investissement et, in fine, à quatre ou cinq investissements chaque année.

Quelles sont vos ambitions à court et moyen terme pour Ternel ?

Timothée : À court et moyen terme, nous voulons poursuivre notre européanisation, avec un focus sur l’Europe de l’Ouest : Royaume-Uni, Allemagne, Benelux, Espagne et Italie. Nous avons déjà amorcé ce mouvement, comme en témoigne notre investissement dans Strong by Form, basé en Espagne.

Nous souhaitons cependant rester dans une logique où nous apportons une valeur ajoutée concrète. Cela signifie privilégier des startups qui disposent d’une feuille de route française ou francophone, car c’est là – peut-être pêchons-nous par humilité – que nous pouvons avoir un impact direct et rapide sur leur développement.

Concernant la taille et la structuration des fonds, nous n’avons pas vocation à changer de modèle. Nous restons concentrés sur des véhicules d’une vingtaine à une trentaine de lignes, positionnés entre le seed et la série A, avec des tickets compris entre 500 000 et 5 millions d’euros. Notre rôle est d’entrer tôt, en lead ou co-lead, puis de suivre les sociétés dans la durée.

À plus long terme, notre ambition est de demeurer un acteur pionnier du capital-risque à impact, en continuant de prouver qu’il est possible de conjuguer contribution positive et performance pour les investisseurs.

En moins d’une décennie, Ternel a su transformer l’héritage de MAIF Avenir en une identité claire et assumée : celle d’un fonds indépendant, exigeant et résolument tourné vers l’impact. Adossé à Capital Croissance, le fonds combine les atouts d’une structure solide avec la souplesse et la vision d’une équipe engagée. Plus qu’un fonds, Ternel se positionne comme un catalyseur de la transition, décidé à s’affirmer comme l’un des pionniers du capital-risque à impact en Europe.